La religion : nouvel alibi du libéralisme
Sarkozy veut faire de la religion et du communautarisme la réponse aux ravages de la politique ultralibérale.
D’abord militer comme un beau diable pour décomplexer la droite d’être foncièrement de droite, au sein de l’ex-RPR où subsistaient encore des « compagnons » sociaux-libéraux. C’était dans les années quatre-vingt-dix. Ensuite appliquer à grands pas la politique vouée au fric. C’était en tant que ministre de l’Économie et des Finances. L’étape de la conversion de son camp au libéralisme gagnée, il restait à Nicolas Sarkozy de trouver le remède le plus approprié pour soigner les milliers de victimes de sa politique. Sa pilule miraculeuse se nomme religion. Une logique qui va bien au-delà d’une simple volonté électoraliste dans la perspective des échéances de 2007.
Parfois insidieusement, à d’autres moments sans détours, Nicolas Sarkozy s’en explique longuement dans son livre (1) : « Maintenant que les lieux de culte officiels et publics sont si absents de nos banlieues, on mesure combien cet apport spirituel a pu être un facteur d’apaisement et quel vide il crée quand il disparaît. » Construire des synagogues, des églises et des mosquées devient le nec plus ultra pour réduire la fracture sociale, celle qui sévit particulièrement dans les cités populaires, où les politiques de la ville ont parqué les familles d’origine étrangère, les plus pauvres des plus pauvres. « Je suis convaincu que l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté », estime l’homme de Bercy, qui va au bout de sa démarche en proposant aux jeunes comme seule solution de croire en Dieu. Car, écrit-il, « il est préférable que des jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d’avoir dans la tête, comme seule "religion", celle de la violence, de la drogue ou de l’argent ».
Dans son livre, Nicolas Sarkozy s’épanche longuement sur l’islam, insiste lourdement sur « les cinq millions de musulmans », entretenant ainsi sciemment l’amalgame entre l’identité d’une personne et sa religion. Cultivant l’image d’un homme ouvert à l’islam, il peaufine sa stratégie d’implication des musulmans dans son projet d’adaptation politique. Parmi eux, essentiellement les jeunes, de plus en plus séduits par des prédicateurs aux discours intégristes. La seule question qui vaille est de se demander pourquoi en sont-ils arrivés là ? Réduire les problèmes à la seule création de mosquées ou de formation des imams revient à s’abstenir de faire l’analyse des facteurs extra-religieux, telles que les conditions sociales, économiques et aussi historiques. « Ainsi, explique Dounia Bouzar, membre du Conseil français du culte musulman, on islamise le diagnostic social pour éviter de remettre en cause la politique de ghettoïsation des banlieues. » L’anthropologue ajoute : « On peut ériger autant de mosquées que l’on veut, cela ne rétablira jamais l’égalité entre les individus. »
Mais Nicolas Sarkozy sait que son ultralibéralisme engendre, et engendrera de plus belle, de grandes inégalités, que seule la spiritualité pourra soigner. Il appelle les autres politiques à ne pas se contenter de parler « d’économie, de social, d’environnement, de sécurité. Nous devons aussi aborder les questions spirituelles ». Pour Nicolas Sarkozy, « la dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu’elle procède d’une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle cherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain ». Au final, il feint de s’interroger si la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État n’est pas « obsolète ». Allant plus loin dans sa stratégie de transformation de la société française, il brise le tabou sur le communautarisme en tentant d’y greffer le modèle américain d’organisation des communautés religieuses.
Mina Kaci
(1) La République, les religions, l’espérance. Éditions du Cerf.