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Revue de Presse
Chronic’art
" BUONGIORNO NOTTE est un miracle cinématographique qui simultanément porte à incandescence les figures de style du maître et en renouvelle le trouble et le mystère à chaque seconde. "
[...]Bellocchio a confirmé qu’il était, aujourd’hui, le plus grand cinéaste italien en activité.
Malausa Vincent
(article entier disponible sur le site de Chronic’art)
Première
" Nul besoin d’être expert en politique italienne pour apprécier ce film envoûtant qui confirme le retour en grâce de Bellocchio, deux ans à peine après l’impeccable SOURIRE DE MA MERE "
De Bruyn Olivier (article entier disponible dans Première n°324, page 41.)
Aden, Le Monde
" Tout le film vibre de cette tension entre le poids terrible de l'histoire et l'élan poétique du cinéma. Chiara en est l'incarnation. "
Sotinel Thomas (article entier disponible sur le site du Monde)
Libération
" BUONGIORNO NOTTE n'est pas qu'une simple évocation romancée (…). Il prend appui sur cet événement pour livrer une réflexion plus large sur l'engagement politique, les liens entre l'idéologie et l'inconscient, les affres de l'aliénation (…) et le désir de libération. "
Peron Didier (article entier disponible sur le site de Libération)
Télérama
" La première évidence de ce film sous tension permanente dont l'enjeu, opaque, paraît souvent se déplacer, tient à son refus de tout jugement expéditif."
Morice Jacques (article entier disponible sur le site de Télérama)
Les Inrocks
" A son habitude, Bellocchio se livre donc à une analyse d’un cas : un cas qui pourrait être collectif, celui de l’Italie d’aujourd’hui. "
Morain Jean-Baptiste (article entier disponible dans Les Inrocks n°427)
CinéLive
" On regrettera juste que ce désaveu des utopies, s’il est raisonnable, installe le film dans une mollesse atténuant hélas l’atmosphère si précise que le réalisateur avait pris la peine d’installer. "
Cirodde Emmanuel (article entier disponible dans Cinélive n°76, page 37)
Studio Magazine
" La dextérité de Bellocchio à pointer l’éternel recommencement de l’histoire offre un relief supplémentaire à se film (…). "
T.C. (article entier disponible dans Studio Magazine n°197, page 30)
«SEGNALAZIONI» è il titolo della testata indipendente di Fulvio Iannaco che - registrata già nel 2001 - ha ormai compiuto il diciottesimo anno della propria continua ricerca e resistenza.
Dal 2007 - poi - alla sua caratteristica originaria di libera espressione del proprio ideatore, «Segnalazioni» ha unito la propria adesione alla «Associazione Amore e Psiche» - della quale fu fra i primissimi fondatori - nella prospettiva storica della realizzazione della «Fondazione Massimo Fagioli»
L'ASSOCIAZIONE CULTURALE
mercoledì 4 febbraio 2004
"Buongiorno, notte" esce in Francia:
un'intervista su "L'Humanité"
L'Humanité 4.2.04
Cinéma.
Ne pas raconter l'histoire dans son inéluctabilité"
L'enlèvement, la séquestration et l'assassinat d'Aldo Moro en 1978 sont au centre du nouveau film de Marco Bellocchio, Notte.
Entretien réalisé par Jean Roy
En plus de vingt films, Marco Bellocchio a labouré un vaste territoire, des films engagés des débuts jusqu'aux deux derniers qui mettent en scène les deux piliers de la société italienne, l'Église et l'État, en passant par d'autres où l'auteur s'expose au regard psychanalytique. Rencontre.
Qu'est-ce qui vous a intéressé dans l'affaire Aldo Moro?
Marco Bellocchio. L'intérêt est né après que le producteur m'a proposé de faire le film. C'était la 01, qui est la filiale cinéma de la RAI. J'ai été étonné qu'on ait pensé à moi. Ils pensaient que j'étais peut-être très engagé dans la politique à ce moment. Les années 1978-1979 sont celles dans lesquelles le terrorisme a multiplié les sigles. Il y a eu les Brigades rouges, nées officiellement en 1970, et d'autres mouvements avec leurs formes légales et extra légales. 1978 est l'année au cours de laquelle les Brigades rouges ont lancé leur campagne de printemps, avec l'idée d'enlever Aldo Moro, ce qu'ils ont fait le 16 mars. En fait, je n'étais plus alors dans la politique et je regardais tout cela comme un citoyen normal. J'ai lu, je me suis documenté, mais il me fallait trouver une idée cinématographique. Je voulais bien faire un film sur l'enlèvement mais simultanément qui corresponde à ma nature. Je ne souhaitais pas raconter l'histoire dans son caractère tragique immobile, dans son inéluctabilité comme la Passion du Christ ou un mystère religieux, du type le Christ doit mourir pour le salut de l'humanité et Aldo Moro pour le statut de l'Italie. Cette idée ne m'intéressait pas assez. Ce n'était pas suffisant. J'ai lu le journal d'Anna Laura Braghetti et là j'ai trouvé l'idée d'un film plus personnel, plus fidèle à mes convictions.
Pourquoi avez-vous trahi la vérité historique, en particulier en ajoutant ou transformant des personnages?
Marco Bellocchio. J'ai senti la nécessité de l'infidélité. Je ne voulais pas faire un film historico-politique. C'est la liberté que prend l'auteur d'avoir un regard suggestif, interprétatif, même s'il y a respect des faits de base. Moro ne peut pas être libéré. Il est clair qu'au niveau de l'interprétation artistique, j'ai voulu user de l'infidélité pour rejoindre la fidélité, atteindre à la conclusion historique mais imaginer une histoire différente. La liberté de Moro n'est pas une fantaisie, une bizarrerie. C'est la possibilité de parler de la situation actuelle, au moins en Italie où l'on vit actuellement dans un grand conformisme, désespéré d'un point de vue politique. Il me semblait que cette image de liberté ferait contraste alors qu'il n'y a pas de raison d'être optimiste.
Les changements portent surtout sur Chiara, à travers laquelle tout est vu.
Marco Bellocchio. Au fond, oui. Il y a une grande différence si nous confrontons le film et le journal d'Anna Laura Braghetti. Il y a dans le journal des pensées, des réflexions, même de l'angoisse : " J'espérais que. ", " Mes pensées étaient opposées à ", mais jamais une action qui s'oppose aux ordres du chef. Il y a des motifs de contrariété mais elle les étouffe. Dans le film, ces réflexions deviennent action. Elle fait des choses, refuse, prend des risques. Je dirais que c'est un schéma artistique. En Italie, on est content quand il y a un point de vue, qu'on sait de quel côté on est, la thèse quoi. C'est une politisation de la pensée. L'action, c'est le cinéma, pas l'action dans le sens américain, mais comme dynamique nécessaire.
Comment a-t-on réagi en Italie où le détail de l'enlèvement de Moro reste vivace?
Marco Bellocchio. J'avais sous-évalué la mémoire. Après vingt-cinq ans, l'affaire Moro a toujours un impact énorme qui suscite conflit, rage. J'ai été attaqué par des politiques qui étaient pour la ligne de fermeté qui a conduit à l'assassinat de Moro. D'autres m'ont félicité pour des raisons de même nature. Qui est derrière les brigadistes, les communistes, la démocratie chrétienne sont des questions qui font encore débat, même si c'est un peu masturbatoire. Il y a des gens qui aiment passer leur temps à savoir qui est le grand marionnettiste. Pour autant, je n'accepte pas l'idée qu'un si petit groupe de brigadistes soit parvenu à maintenir l'Italie en haleine pendant si longtemps.
Avez-vous tenu à une sorte de ressemblance physique entre les comédiens et les personnages?
Marco Bellocchio. En ce qui concerne Germano Maccari, l'assassin de Moro joué par mon fils, je n'avais aucune image de sa jeunesse. Morucci a un visage connu mais je n'avais pas de problème de vraisemblance. Le seul problème était le visage d'Aldo Moro, qui avait une expression très orientale du Sud méditerranéen. Pendant un certain temps, j'ai songé à ne même pas le représenter, juste faire sentir sa présence. Petit à petit, je lui ai donné plus d'espace et il est devenu plus présent. C'est le jeu du comédien Roberto Herlitzka, qui l'incarne, qui m'a fait comprendre qu'on pouvait le montrer davantage sans tomber dans une incarnation à l'Actors Studio. Quand Gian Maria Volontè, qui est par ailleurs un immense acteur, interprète Moro dans le film "Il Caso Moro" de Giuseppe Ferrara, en 1986, il cherche à imiter jusqu'à la voix de Moro, son accent méridional d'homme des Pouilles. Il a étudié le personnage. Nous sommes dans la tradition italienne du cinéma politique où tous les comédiens travaillent la ressemblance externe. Ce n'était pas le but ici.
Voyez-vous une continuité entre ce film et vos films précédents?
Marco Bellocchio. S'il y a une continuité, elle est plus de style et d'image que de thématique. Il y a un rapprochement évident si l'on compare avec le Sourire de ma mère avec la séparation de la mère dans le premier et la séparation du père ici. Il y a des convictions religieuses dans l'autre et ici des convictions politiques, qui relèvent aussi d'une certaine forme de fanatisme qui a à voir avec le religieux. Nous sommes dans ce film comme les premiers chrétiens quand, avec Théodose, le christianisme devient religion d'État et que toutes les autres se mettent à être réprimées. Aldo Moro dit aux brigadistes : " Vous êtes intolérants comme les premiers chrétiens. "
Je songeais aussi à une continuité dans le domaine de la psychanalyse, qui traverse tant de vos films, avec cette mort d'un père symbolique, tué par celui dont le rôle est tenu par votre fils.
Marco Bellocchio. La psychanalyse n'a pas découvert la mort du père. Pour les Brigades rouges, Aldo Moro est certainement une figure de père, mais l'infidélité historique est là. Les brigadistes ont voulu tuer le père. Ils sont dans un discours de séparation. Le fantasme du père est là, telle l'image d'Oreste poursuivi par le fantasme de la mère. En refusant de tuer Moro, ils se libèrent de cette image. Dans ce film, la figure du père est spécifique. C'est comme si, dans les autres films, il n'était jamais présent.
Cela fait quarante ans que vous faites des films. Quels sont vos préférés?
Marco Bellocchio. Cela fait trente-neuf ans. Je retiendrais le premier, les Poings dans les poches, parce qu'il a cette unicité de la première fois, quand on découvre une manière nouvelle de travailler et qu'il faut diriger des acteurs. Ensuite le "Saut dans le vide", qui a été une expérience très positive. C'est presque la dernière fois que j'ai travaillé avec deux comédiens français, Michel Piccoli et Anouk Aimée, pour jouer deux Italiens. Un film aussi, qui est venu dans une période de grande crise mais qui est assez important pour moi a été le "Diable au corps". Il y a eu une grande relation avec l'ami psychiatre à qui j'ai dédié le film et cela a été une expérience unique. Enfin, je voudrais citer mes deux derniers films, le "Sourire de ma mère" et "Buongiorno, notte", où je me suis un peu renouvelé.
Cinéma.
Ne pas raconter l'histoire dans son inéluctabilité"
L'enlèvement, la séquestration et l'assassinat d'Aldo Moro en 1978 sont au centre du nouveau film de Marco Bellocchio, Notte.
Entretien réalisé par Jean Roy
En plus de vingt films, Marco Bellocchio a labouré un vaste territoire, des films engagés des débuts jusqu'aux deux derniers qui mettent en scène les deux piliers de la société italienne, l'Église et l'État, en passant par d'autres où l'auteur s'expose au regard psychanalytique. Rencontre.
Qu'est-ce qui vous a intéressé dans l'affaire Aldo Moro?
Marco Bellocchio. L'intérêt est né après que le producteur m'a proposé de faire le film. C'était la 01, qui est la filiale cinéma de la RAI. J'ai été étonné qu'on ait pensé à moi. Ils pensaient que j'étais peut-être très engagé dans la politique à ce moment. Les années 1978-1979 sont celles dans lesquelles le terrorisme a multiplié les sigles. Il y a eu les Brigades rouges, nées officiellement en 1970, et d'autres mouvements avec leurs formes légales et extra légales. 1978 est l'année au cours de laquelle les Brigades rouges ont lancé leur campagne de printemps, avec l'idée d'enlever Aldo Moro, ce qu'ils ont fait le 16 mars. En fait, je n'étais plus alors dans la politique et je regardais tout cela comme un citoyen normal. J'ai lu, je me suis documenté, mais il me fallait trouver une idée cinématographique. Je voulais bien faire un film sur l'enlèvement mais simultanément qui corresponde à ma nature. Je ne souhaitais pas raconter l'histoire dans son caractère tragique immobile, dans son inéluctabilité comme la Passion du Christ ou un mystère religieux, du type le Christ doit mourir pour le salut de l'humanité et Aldo Moro pour le statut de l'Italie. Cette idée ne m'intéressait pas assez. Ce n'était pas suffisant. J'ai lu le journal d'Anna Laura Braghetti et là j'ai trouvé l'idée d'un film plus personnel, plus fidèle à mes convictions.
Pourquoi avez-vous trahi la vérité historique, en particulier en ajoutant ou transformant des personnages?
Marco Bellocchio. J'ai senti la nécessité de l'infidélité. Je ne voulais pas faire un film historico-politique. C'est la liberté que prend l'auteur d'avoir un regard suggestif, interprétatif, même s'il y a respect des faits de base. Moro ne peut pas être libéré. Il est clair qu'au niveau de l'interprétation artistique, j'ai voulu user de l'infidélité pour rejoindre la fidélité, atteindre à la conclusion historique mais imaginer une histoire différente. La liberté de Moro n'est pas une fantaisie, une bizarrerie. C'est la possibilité de parler de la situation actuelle, au moins en Italie où l'on vit actuellement dans un grand conformisme, désespéré d'un point de vue politique. Il me semblait que cette image de liberté ferait contraste alors qu'il n'y a pas de raison d'être optimiste.
Les changements portent surtout sur Chiara, à travers laquelle tout est vu.
Marco Bellocchio. Au fond, oui. Il y a une grande différence si nous confrontons le film et le journal d'Anna Laura Braghetti. Il y a dans le journal des pensées, des réflexions, même de l'angoisse : " J'espérais que. ", " Mes pensées étaient opposées à ", mais jamais une action qui s'oppose aux ordres du chef. Il y a des motifs de contrariété mais elle les étouffe. Dans le film, ces réflexions deviennent action. Elle fait des choses, refuse, prend des risques. Je dirais que c'est un schéma artistique. En Italie, on est content quand il y a un point de vue, qu'on sait de quel côté on est, la thèse quoi. C'est une politisation de la pensée. L'action, c'est le cinéma, pas l'action dans le sens américain, mais comme dynamique nécessaire.
Comment a-t-on réagi en Italie où le détail de l'enlèvement de Moro reste vivace?
Marco Bellocchio. J'avais sous-évalué la mémoire. Après vingt-cinq ans, l'affaire Moro a toujours un impact énorme qui suscite conflit, rage. J'ai été attaqué par des politiques qui étaient pour la ligne de fermeté qui a conduit à l'assassinat de Moro. D'autres m'ont félicité pour des raisons de même nature. Qui est derrière les brigadistes, les communistes, la démocratie chrétienne sont des questions qui font encore débat, même si c'est un peu masturbatoire. Il y a des gens qui aiment passer leur temps à savoir qui est le grand marionnettiste. Pour autant, je n'accepte pas l'idée qu'un si petit groupe de brigadistes soit parvenu à maintenir l'Italie en haleine pendant si longtemps.
Avez-vous tenu à une sorte de ressemblance physique entre les comédiens et les personnages?
Marco Bellocchio. En ce qui concerne Germano Maccari, l'assassin de Moro joué par mon fils, je n'avais aucune image de sa jeunesse. Morucci a un visage connu mais je n'avais pas de problème de vraisemblance. Le seul problème était le visage d'Aldo Moro, qui avait une expression très orientale du Sud méditerranéen. Pendant un certain temps, j'ai songé à ne même pas le représenter, juste faire sentir sa présence. Petit à petit, je lui ai donné plus d'espace et il est devenu plus présent. C'est le jeu du comédien Roberto Herlitzka, qui l'incarne, qui m'a fait comprendre qu'on pouvait le montrer davantage sans tomber dans une incarnation à l'Actors Studio. Quand Gian Maria Volontè, qui est par ailleurs un immense acteur, interprète Moro dans le film "Il Caso Moro" de Giuseppe Ferrara, en 1986, il cherche à imiter jusqu'à la voix de Moro, son accent méridional d'homme des Pouilles. Il a étudié le personnage. Nous sommes dans la tradition italienne du cinéma politique où tous les comédiens travaillent la ressemblance externe. Ce n'était pas le but ici.
Voyez-vous une continuité entre ce film et vos films précédents?
Marco Bellocchio. S'il y a une continuité, elle est plus de style et d'image que de thématique. Il y a un rapprochement évident si l'on compare avec le Sourire de ma mère avec la séparation de la mère dans le premier et la séparation du père ici. Il y a des convictions religieuses dans l'autre et ici des convictions politiques, qui relèvent aussi d'une certaine forme de fanatisme qui a à voir avec le religieux. Nous sommes dans ce film comme les premiers chrétiens quand, avec Théodose, le christianisme devient religion d'État et que toutes les autres se mettent à être réprimées. Aldo Moro dit aux brigadistes : " Vous êtes intolérants comme les premiers chrétiens. "
Je songeais aussi à une continuité dans le domaine de la psychanalyse, qui traverse tant de vos films, avec cette mort d'un père symbolique, tué par celui dont le rôle est tenu par votre fils.
Marco Bellocchio. La psychanalyse n'a pas découvert la mort du père. Pour les Brigades rouges, Aldo Moro est certainement une figure de père, mais l'infidélité historique est là. Les brigadistes ont voulu tuer le père. Ils sont dans un discours de séparation. Le fantasme du père est là, telle l'image d'Oreste poursuivi par le fantasme de la mère. En refusant de tuer Moro, ils se libèrent de cette image. Dans ce film, la figure du père est spécifique. C'est comme si, dans les autres films, il n'était jamais présent.
Cela fait quarante ans que vous faites des films. Quels sont vos préférés?
Marco Bellocchio. Cela fait trente-neuf ans. Je retiendrais le premier, les Poings dans les poches, parce qu'il a cette unicité de la première fois, quand on découvre une manière nouvelle de travailler et qu'il faut diriger des acteurs. Ensuite le "Saut dans le vide", qui a été une expérience très positive. C'est presque la dernière fois que j'ai travaillé avec deux comédiens français, Michel Piccoli et Anouk Aimée, pour jouer deux Italiens. Un film aussi, qui est venu dans une période de grande crise mais qui est assez important pour moi a été le "Diable au corps". Il y a eu une grande relation avec l'ami psychiatre à qui j'ai dédié le film et cela a été une expérience unique. Enfin, je voudrais citer mes deux derniers films, le "Sourire de ma mère" et "Buongiorno, notte", où je me suis un peu renouvelé.
"Buongiorno, notte" esce in Francia:
la recensione del film su "Le Figaro"
Martyr d'une idée
La critique de Dominique Borde
Un couple visite un appartement pour le louer. On ouvre les persiennes et la lumière envahit l'espace. De l'ombre à l'éblouissement, Chiara, membre des Brigades rouges, va ouvrir les yeux sur son idéal, sa mission, ses certitudes. Nous sommes en mars 1978, à Rome, une cache de l'appartement sera la prison d'Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, enlevé et séquestré là pendant cinquante-cinq jours avant d'être froidement exécuté par ses geôliers. Un acte politique désespéré qui marquera le point culminant des «années de plomb» et le début de la fin des utopies révolutionnaires.
C'est ce point de rupture entre la conscience morale et la conscience politique que Marco Bellocchio a voulu stigmatiser en fixant sa caméra sur le visage passionné ou inquiet de Chiara, confrontée à la réalité d'un acte idéologique mué en geste criminel. Loin d'une reconstitution historique, d'un plaidoyer pro- ou anti-Aldo Moro ou d'un docu-fiction moralisateur, il regarde, imagine ce qui a pu se passer pendant deux mois entre un vieil homme désabusé et les terroristes, entre le regard vaincu d'une victime désignée et celui troublé d'une jeune fille. Autour d'eux, il y a la vie, celle du bureau où Chiara évolue, employée anonyme et banale, et celle des images de la télévision, contrepoint de la réalité événementielle. Et constamment un paradoxe se développe entre la sérénité d'Aldo Moro et l'inquiétude des terroristes, d'une attitude résignée et humaine à un discours idéologique radical, fossé infranchissable entre le compromis affectif et l'absolu révolutionnaire. C'est celui-là que Bellocchio tente d'approfondir ou de délimiter pour comprendre sans s'apitoyer, revenir sur les faits sans prendre parti. Ou comment un idéal révolutionnaire peut engendrer un totalitarisme inhumain? Comment un être humain peut douter et refuser de devenir le bras armé de son idéologie? Comment un bouc émissaire peut devenir un martyr et les justiciers des assassins? Toutes ces questions sont en filigrane dans la ligne pure de ce film dépouillé, dans le visage tourmenté de Maya Sansa ou celui digne et douloureux de Roberto Herlitzka. Buogiorno Notte rappelle que ce sacrifice involontaire était d'abord une parabole révolutionnaire, une démonstration par l'absurde pour ces conquérants de l'inutile que furent les Brigades rouges.
Le Figaro 4.2.04
TRAIT POUR TRAIT Maya Sansa, nouvelle égérie du cinéma italien, est à l'affiche de «Buongiorno, notte» de Marco Bellocchio
Maya Sansa
A fleur de peau
A 28 ans, Maya Sansa est la nouvelle égérie du cinéma d'auteur italien. Elle est romaine mais n'a pas l'âme à mener une vie oisive et festive, à se couler dans la dolce vita. Elle ne se rêve pas en robe haute couture à la une des magazines people ou à l'affiche d'une super-production hollywoodienne. De ses aînées, elle n'a pas la beauté volcanique, mais elle possède un mystérieux charme oriental qui irradie chacun de ses films.
Révélée récemment dans l'émouvante fresque romanesque Nos Meilleures Années (toujours sur les écrans parisiens), Maya Sansa est à l'affiche aujourd'hui du film de Marco Bellocchio, Buongiorno, notte.
Elle promène un regard sévère sur l'existence et le cinéma. A sa façon d'évoquer d'une voix grave ses rôles, de ne pas les réduire à un «je me suis mise en danger», formule pratique et vide de sens que les acteurs répètent à l'envi, émane une exigence âpre, une discipline de fer... jusqu'à l'excès parfois. Quand elle tourne, le monde s'arrête de tourner. Manger, dormir, travailler : sa vie se réduit comme peau de chagrin. Elle est prisonnière de ses rôles, elle ne sort plus. Et d'ailleurs, à quoi bon ? «Je ne pense plus qu'au film, j'en parle tout le temps, je suis terriblement ennuyeuse pour les autres», avoue-t-elle.
Trop sérieuse, trop raisonnable, pas assez exubérante pour une Italienne, pense-t-on. De sa mère, italienne, elle a hérité une gestuelle bavarde, de son père, iranien, une sensibilité à fleur de peau. L'été dernier, elle s'est rendue pour la première fois en Iran. Et, dans ce pays inconnu et rêvé, où vit son grand-père paternel, elle a retrouvé une part d'elle. «J'ai compris pourquoi j'étais comme ça, pourquoi je ne me sentais pas complètement italienne, pourquoi je n'ai jamais compris l'humour italien... Les femmes iraniennes ont une force et une sensibilité qui sont plus proches de moi. Même en observant les enfants jouer dans la rue, je me suis souvenue de certains détails, quand j'étais plus jeune.»
L'Italie, elle l'a d'ailleurs d'abord rejetée. Elle ne se sentait pas à sa place à Rome. A 18 ans, comme d'autres quittent leur province, elle est partie en Angleterre prendre des cours d'art dramatique. Elle ne maîtrisait pas la langue de Shakespeare, cela ressemblait à un caprice de midinette, ou au coup de tête d'une adolescente rebelle et un peu paumée. Ce n'était rien de tout cela. Ni même une lubie de jeune fille idéaliste. Et, pourtant elle l'était. Elle avait de qui tenir. Elle avait passé son enfance dans les jupes d'une mère un peu bohème, qui l'entraînait l'été sur les routes pour vendre des vêtements peints.
Mais cet univers de fêtes où l'on refaisait le monde au milieu de gens de tous horizons lui avait laissé un goût d'inachevé. «Nous étions toujours dans des situations difficiles car nous avions peu d'argent, et ma mère n'était jamais sûre de ce qu'elle voulait.» Elle, à 18 ans, avait des idées bien arrêtées plein la tête. Comme celles de croire que l'enseignement dramatique italien péchait par excès de rigueur, que l'obsession tout académique des professeurs pour la diction n'était que fantaisie, que l'important n'était pas d'apprendre à déclamer des vers pour épater le public. Elle a trouvé en Angleterre ce qu'elle cherchait, elle y est restée six ans.
Pour incarner Chiara, terroriste des Brigades rouges qui participe à l'enlèvement d'Aldo Moro dans Buongiorno, notte, elle s'est d'ailleurs souvenue de la jeune fille qu'elle était à vingt ans. Une «extrémiste n'acceptant aucune compromission», plaçant l'art au-dessus de tout. Dans son français encore hésitant, elle allonge les phrases car les mots justes lui échappent. «Je dois parler beaucoup pour dire de petites choses», s'excuse-t-elle. Peu importe. Quand elle se lance dans un monologue sur le théâtre ou le cinéma, le temps ne compte plus pour elle.
Elle sacralise son métier, parle de ses choix avec une conviction inébranlable. Elle refuse de se laisser enfermer dans un personnage, comme le voudraient les agents. «Au théâtre, tu peux jouer des caractères très différents en travaillant sur le physique, sur la tenue vestimentaire. Au cinéma, incarner des extrêmes est beaucoup plus difficile car tu ne peux pas couvrir complètement ton âme.»
Après avoir incarné une nourrice (son premier rôle en 1998, dans un film de Marco Bellocchio), il aurait été naturel qu'elle se glisse dans la peau d'une bonne soeur, mais elle a joué le rôle d'une prostituée dénuée d'instinct maternelle, puis d'une femme policière engagée à gauche. Parfois, à l'entendre, on a l'étrange impression que sa vie se réduit à cette succession de rôles. Elle dit : «A la fin de chaque tournage, je me sens triste.» Comme s'il était plus important de tourner que de vivre, comme si la vie avait plus de poids sur la pellicule.
Sans faire de bruit, elle vient de poser ses valises à Paris, quelque part du côté de la place de Clichy. Sans plan de carrière, même si elle espère un jour tourner en France. Par amour, simplement.
La critique de Dominique Borde
Un couple visite un appartement pour le louer. On ouvre les persiennes et la lumière envahit l'espace. De l'ombre à l'éblouissement, Chiara, membre des Brigades rouges, va ouvrir les yeux sur son idéal, sa mission, ses certitudes. Nous sommes en mars 1978, à Rome, une cache de l'appartement sera la prison d'Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, enlevé et séquestré là pendant cinquante-cinq jours avant d'être froidement exécuté par ses geôliers. Un acte politique désespéré qui marquera le point culminant des «années de plomb» et le début de la fin des utopies révolutionnaires.
C'est ce point de rupture entre la conscience morale et la conscience politique que Marco Bellocchio a voulu stigmatiser en fixant sa caméra sur le visage passionné ou inquiet de Chiara, confrontée à la réalité d'un acte idéologique mué en geste criminel. Loin d'une reconstitution historique, d'un plaidoyer pro- ou anti-Aldo Moro ou d'un docu-fiction moralisateur, il regarde, imagine ce qui a pu se passer pendant deux mois entre un vieil homme désabusé et les terroristes, entre le regard vaincu d'une victime désignée et celui troublé d'une jeune fille. Autour d'eux, il y a la vie, celle du bureau où Chiara évolue, employée anonyme et banale, et celle des images de la télévision, contrepoint de la réalité événementielle. Et constamment un paradoxe se développe entre la sérénité d'Aldo Moro et l'inquiétude des terroristes, d'une attitude résignée et humaine à un discours idéologique radical, fossé infranchissable entre le compromis affectif et l'absolu révolutionnaire. C'est celui-là que Bellocchio tente d'approfondir ou de délimiter pour comprendre sans s'apitoyer, revenir sur les faits sans prendre parti. Ou comment un idéal révolutionnaire peut engendrer un totalitarisme inhumain? Comment un être humain peut douter et refuser de devenir le bras armé de son idéologie? Comment un bouc émissaire peut devenir un martyr et les justiciers des assassins? Toutes ces questions sont en filigrane dans la ligne pure de ce film dépouillé, dans le visage tourmenté de Maya Sansa ou celui digne et douloureux de Roberto Herlitzka. Buogiorno Notte rappelle que ce sacrifice involontaire était d'abord une parabole révolutionnaire, une démonstration par l'absurde pour ces conquérants de l'inutile que furent les Brigades rouges.
Le Figaro 4.2.04
TRAIT POUR TRAIT Maya Sansa, nouvelle égérie du cinéma italien, est à l'affiche de «Buongiorno, notte» de Marco Bellocchio
Maya Sansa
A fleur de peau
A 28 ans, Maya Sansa est la nouvelle égérie du cinéma d'auteur italien. Elle est romaine mais n'a pas l'âme à mener une vie oisive et festive, à se couler dans la dolce vita. Elle ne se rêve pas en robe haute couture à la une des magazines people ou à l'affiche d'une super-production hollywoodienne. De ses aînées, elle n'a pas la beauté volcanique, mais elle possède un mystérieux charme oriental qui irradie chacun de ses films.
Révélée récemment dans l'émouvante fresque romanesque Nos Meilleures Années (toujours sur les écrans parisiens), Maya Sansa est à l'affiche aujourd'hui du film de Marco Bellocchio, Buongiorno, notte.
Elle promène un regard sévère sur l'existence et le cinéma. A sa façon d'évoquer d'une voix grave ses rôles, de ne pas les réduire à un «je me suis mise en danger», formule pratique et vide de sens que les acteurs répètent à l'envi, émane une exigence âpre, une discipline de fer... jusqu'à l'excès parfois. Quand elle tourne, le monde s'arrête de tourner. Manger, dormir, travailler : sa vie se réduit comme peau de chagrin. Elle est prisonnière de ses rôles, elle ne sort plus. Et d'ailleurs, à quoi bon ? «Je ne pense plus qu'au film, j'en parle tout le temps, je suis terriblement ennuyeuse pour les autres», avoue-t-elle.
Trop sérieuse, trop raisonnable, pas assez exubérante pour une Italienne, pense-t-on. De sa mère, italienne, elle a hérité une gestuelle bavarde, de son père, iranien, une sensibilité à fleur de peau. L'été dernier, elle s'est rendue pour la première fois en Iran. Et, dans ce pays inconnu et rêvé, où vit son grand-père paternel, elle a retrouvé une part d'elle. «J'ai compris pourquoi j'étais comme ça, pourquoi je ne me sentais pas complètement italienne, pourquoi je n'ai jamais compris l'humour italien... Les femmes iraniennes ont une force et une sensibilité qui sont plus proches de moi. Même en observant les enfants jouer dans la rue, je me suis souvenue de certains détails, quand j'étais plus jeune.»
L'Italie, elle l'a d'ailleurs d'abord rejetée. Elle ne se sentait pas à sa place à Rome. A 18 ans, comme d'autres quittent leur province, elle est partie en Angleterre prendre des cours d'art dramatique. Elle ne maîtrisait pas la langue de Shakespeare, cela ressemblait à un caprice de midinette, ou au coup de tête d'une adolescente rebelle et un peu paumée. Ce n'était rien de tout cela. Ni même une lubie de jeune fille idéaliste. Et, pourtant elle l'était. Elle avait de qui tenir. Elle avait passé son enfance dans les jupes d'une mère un peu bohème, qui l'entraînait l'été sur les routes pour vendre des vêtements peints.
Mais cet univers de fêtes où l'on refaisait le monde au milieu de gens de tous horizons lui avait laissé un goût d'inachevé. «Nous étions toujours dans des situations difficiles car nous avions peu d'argent, et ma mère n'était jamais sûre de ce qu'elle voulait.» Elle, à 18 ans, avait des idées bien arrêtées plein la tête. Comme celles de croire que l'enseignement dramatique italien péchait par excès de rigueur, que l'obsession tout académique des professeurs pour la diction n'était que fantaisie, que l'important n'était pas d'apprendre à déclamer des vers pour épater le public. Elle a trouvé en Angleterre ce qu'elle cherchait, elle y est restée six ans.
Pour incarner Chiara, terroriste des Brigades rouges qui participe à l'enlèvement d'Aldo Moro dans Buongiorno, notte, elle s'est d'ailleurs souvenue de la jeune fille qu'elle était à vingt ans. Une «extrémiste n'acceptant aucune compromission», plaçant l'art au-dessus de tout. Dans son français encore hésitant, elle allonge les phrases car les mots justes lui échappent. «Je dois parler beaucoup pour dire de petites choses», s'excuse-t-elle. Peu importe. Quand elle se lance dans un monologue sur le théâtre ou le cinéma, le temps ne compte plus pour elle.
Elle sacralise son métier, parle de ses choix avec une conviction inébranlable. Elle refuse de se laisser enfermer dans un personnage, comme le voudraient les agents. «Au théâtre, tu peux jouer des caractères très différents en travaillant sur le physique, sur la tenue vestimentaire. Au cinéma, incarner des extrêmes est beaucoup plus difficile car tu ne peux pas couvrir complètement ton âme.»
Après avoir incarné une nourrice (son premier rôle en 1998, dans un film de Marco Bellocchio), il aurait été naturel qu'elle se glisse dans la peau d'une bonne soeur, mais elle a joué le rôle d'une prostituée dénuée d'instinct maternelle, puis d'une femme policière engagée à gauche. Parfois, à l'entendre, on a l'étrange impression que sa vie se réduit à cette succession de rôles. Elle dit : «A la fin de chaque tournage, je me sens triste.» Comme s'il était plus important de tourner que de vivre, comme si la vie avait plus de poids sur la pellicule.
Sans faire de bruit, elle vient de poser ses valises à Paris, quelque part du côté de la place de Clichy. Sans plan de carrière, même si elle espère un jour tourner en France. Par amour, simplement.
"Buongiorno, notte" esce in Francia:
l'intervista a Marco Bellocchio su "Le Figaro"
Le Figaré 4.2.03
CINÉMA Son film «Buongiorno notte» revient sur la tragédie d'Aldo Moro
Bellocchio : «S'opposer, oui. Tuer, non!»
Le 16 mars 1978, à Rome, Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, est enlevé par les Brigades rouges. Le 9 mai, il est assassiné. Entre ces deux dates qui ont tragiquement marqué l'histoire italienne de la fin du XXe siècle (un journal appela ce temps du triomphe terroriste «la nuit de la République»), un mois et demi s'écoule, durant lequel Aldo Moro est séquestré dans un appartement romain, gardé par un groupe de jeunes brigadistes. Parmi eux, une femme, Anna Laura Braghetti, plus tard auteur d'un livre, Le Prisonnier, 55 jours avec Aldo Moro (Editions Denoël). Buongiorno notte de Marco Bellocchio se situe dans cet intervalle entre les deux dates fatidiques, dans cet espace clos où cohabitent étroitement les terroristes et leur victime. De ce sujet, au départ commande de la RAI, le grand cinéaste a fait une œuvre extrêmement personnelle, une admirable méditation sur la violence révolutionnaire à travers le face-à-face intime de ces jeunes pris dans une utopie abstraite et du vieil homme (Roberto Herlitzka, magnifique), qui n'a à leur opposer que cet absolu du visage humain, au sens où l'entendrait Lévinas.
Propos recueillis par Marie-Noëlle Tranchant
LE FIGARO. – Quelle était votre position à l'époque de cette tragédie?
Marco BELLOCCHIO. – Ma position était de gauche, mais j'étais et je reste étranger à la politique officielle. J'avais un moment milité dans une formation maoïste sans dérive illégale, opposée au terrorisme qui était considéré comme une «maladie infantile du communisme». Mais toutes ces paroles, ces slogans, ces mots d'ordre... On mettait au premier plan l'idéal révolutionnaire et on négligeait la vie intime et personnelle. Je me suis éloigné assez vite, parce que j'éprouvais le besoin de retrouver une identité artistique que la cause révolutionnaire humiliait. On considérait cela comme secondaire, inutile. En 1978, j'en étais revenu à raconter des histoires.
C'est ce que vous faites dans "Buongiorno notte", qui est une histoire très intime sur le terrorisme, avec une dimension souvent onirique.
Tout est inventé, mais l'imagination est réelle. Le cinéma n'est pas fait pour être une chronique des événements. Dans mon film, les faits sont limités à ce qu'en transmet la télévision, qui est une télévision d'Etat, donc qui apporte déjà une interprétation des faits. Tout était interprétation dans cette affaire qui s'inscrivait dans le contexte d'une alliance entre la Démocratie chrétienne et le communisme. Les uns disaient que les Brigades rouges voulaient créer le plus de désordre possible pour accélérer la dissolution du système, d'autres que les terroristes faisaient le jeu de la droite, voire étaient manipulés par la CIA opposée à l'entrée de communistes dans le gouvernement Andreotti. Ce qui était stupéfiant pour tous, c'était de voir un petit groupe bloquer tout l'appareil de l'Etat, de voir le pape à genoux supplier les Brigades rouges (même les terroristes ont été impressionnés). Et puis l'assassinat d'Aldo Moro a transformé la stupeur en accablement encore plus profond: on ne pensait pas que cela pourrait arriver, et c'est arrivé. Tous les autres enlèvements s'étaient résolus par une négociation. Là, c'était une folie pure, qui ne débouchait sur rien.
"Buongiorno, notte" explore cette folie à travers les attitudes des terroristes. Les garçons restent implacables, mais Chiara est troublée par la personnalité d'Aldo Moro et rêve même de changer le scénario...
Aldo Moro avait un scénario dans sa serviette, au moment de son enlèvement. Je n'en sais pas plus, mais ce détail m'a frappé et il offrait une piste à la rêverie. J'ai imaginé que ce scénario racontait l'action terroriste en train de se mener, sur laquelle travaillent la réflexion et la sensibilité de Chiara.
Comment avez-vous choisi Roberto Herlitzka pour interpréter Aldo Moro?
Au départ, je pensais montrer le moins possible Aldo Moro. Dans le cinéma italien, la tradition veut que les personnages connus de l'histoire doivent être ressemblants physiquement, et ce n'est pas le cas. Mais le fils d'Aldo Moro a reconnu une identité intérieure. Au tournage, Roberto m'a convaincu que son image devait venir de plus en plus au premier plan. Parce que le visage donne une vérité et une émotion. Il oppose la réalité humaine à l'abstraction pathologique des révolutionnaires. S'autoriser à tuer froidement cet homme au nom d'une idéologie, c'est le point le plus inhumain et le plus dément qu'on puisse atteindre. On peut avoir des adversaires, s'opposer, lutter. Mais tuer, non!
CINÉMA Son film «Buongiorno notte» revient sur la tragédie d'Aldo Moro
Bellocchio : «S'opposer, oui. Tuer, non!»
Le 16 mars 1978, à Rome, Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, est enlevé par les Brigades rouges. Le 9 mai, il est assassiné. Entre ces deux dates qui ont tragiquement marqué l'histoire italienne de la fin du XXe siècle (un journal appela ce temps du triomphe terroriste «la nuit de la République»), un mois et demi s'écoule, durant lequel Aldo Moro est séquestré dans un appartement romain, gardé par un groupe de jeunes brigadistes. Parmi eux, une femme, Anna Laura Braghetti, plus tard auteur d'un livre, Le Prisonnier, 55 jours avec Aldo Moro (Editions Denoël). Buongiorno notte de Marco Bellocchio se situe dans cet intervalle entre les deux dates fatidiques, dans cet espace clos où cohabitent étroitement les terroristes et leur victime. De ce sujet, au départ commande de la RAI, le grand cinéaste a fait une œuvre extrêmement personnelle, une admirable méditation sur la violence révolutionnaire à travers le face-à-face intime de ces jeunes pris dans une utopie abstraite et du vieil homme (Roberto Herlitzka, magnifique), qui n'a à leur opposer que cet absolu du visage humain, au sens où l'entendrait Lévinas.
Propos recueillis par Marie-Noëlle Tranchant
LE FIGARO. – Quelle était votre position à l'époque de cette tragédie?
Marco BELLOCCHIO. – Ma position était de gauche, mais j'étais et je reste étranger à la politique officielle. J'avais un moment milité dans une formation maoïste sans dérive illégale, opposée au terrorisme qui était considéré comme une «maladie infantile du communisme». Mais toutes ces paroles, ces slogans, ces mots d'ordre... On mettait au premier plan l'idéal révolutionnaire et on négligeait la vie intime et personnelle. Je me suis éloigné assez vite, parce que j'éprouvais le besoin de retrouver une identité artistique que la cause révolutionnaire humiliait. On considérait cela comme secondaire, inutile. En 1978, j'en étais revenu à raconter des histoires.
C'est ce que vous faites dans "Buongiorno notte", qui est une histoire très intime sur le terrorisme, avec une dimension souvent onirique.
Tout est inventé, mais l'imagination est réelle. Le cinéma n'est pas fait pour être une chronique des événements. Dans mon film, les faits sont limités à ce qu'en transmet la télévision, qui est une télévision d'Etat, donc qui apporte déjà une interprétation des faits. Tout était interprétation dans cette affaire qui s'inscrivait dans le contexte d'une alliance entre la Démocratie chrétienne et le communisme. Les uns disaient que les Brigades rouges voulaient créer le plus de désordre possible pour accélérer la dissolution du système, d'autres que les terroristes faisaient le jeu de la droite, voire étaient manipulés par la CIA opposée à l'entrée de communistes dans le gouvernement Andreotti. Ce qui était stupéfiant pour tous, c'était de voir un petit groupe bloquer tout l'appareil de l'Etat, de voir le pape à genoux supplier les Brigades rouges (même les terroristes ont été impressionnés). Et puis l'assassinat d'Aldo Moro a transformé la stupeur en accablement encore plus profond: on ne pensait pas que cela pourrait arriver, et c'est arrivé. Tous les autres enlèvements s'étaient résolus par une négociation. Là, c'était une folie pure, qui ne débouchait sur rien.
"Buongiorno, notte" explore cette folie à travers les attitudes des terroristes. Les garçons restent implacables, mais Chiara est troublée par la personnalité d'Aldo Moro et rêve même de changer le scénario...
Aldo Moro avait un scénario dans sa serviette, au moment de son enlèvement. Je n'en sais pas plus, mais ce détail m'a frappé et il offrait une piste à la rêverie. J'ai imaginé que ce scénario racontait l'action terroriste en train de se mener, sur laquelle travaillent la réflexion et la sensibilité de Chiara.
Comment avez-vous choisi Roberto Herlitzka pour interpréter Aldo Moro?
Au départ, je pensais montrer le moins possible Aldo Moro. Dans le cinéma italien, la tradition veut que les personnages connus de l'histoire doivent être ressemblants physiquement, et ce n'est pas le cas. Mais le fils d'Aldo Moro a reconnu une identité intérieure. Au tournage, Roberto m'a convaincu que son image devait venir de plus en plus au premier plan. Parce que le visage donne une vérité et une émotion. Il oppose la réalité humaine à l'abstraction pathologique des révolutionnaires. S'autoriser à tuer froidement cet homme au nom d'une idéologie, c'est le point le plus inhumain et le plus dément qu'on puisse atteindre. On peut avoir des adversaires, s'opposer, lutter. Mais tuer, non!
LE MONDE:
i quattro articoli del paginone per l'uscita di "Buongiorno, notte" in Francia
LE MONDE 03.02.04 "Buongiorno, notte": la nuit terroriste à la lumière de la fiction par Thomas Sotinel
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.04
Ni reconstitution historique ni démonstration politique, ce film de Marco Bellocchio relatant l'assassinat d'Aldo Moro en Italie en 1979 explore l'imaginaire d'une jeune femme membre des Brigades rouges.
C'est une sale vieille histoire, et l'on croit un moment que Marco Bellocchio a choisi de nous la raconter par le menu. Un couple visite un appartement romain. L'agent immobilier est chevelu et barbu, mais il n'est pas besoin de cet indice pour savoir que tout ça se passe il y a plus d'un quart de siècle. Depuis le festival de Venise, où "Buongiorno, notte" a été chaleureusement accueilli et chichement primé, on sait qu'il sera question de l'assassinat d'Aldo Moro. Qui lisait les journaux en 1978 se souvient des photos terribles d'un homme défait, au regard désespéré, fixé devant une dérisoire bannière.
Ces images vont bientôt se mettre à bouger. Le couple, Chiara (Maya Sansa), très belle, et Ernesto (Pier Giorgio Bellocchio, fils du cinéaste), bien mis, ne cherche pas un logement, mais une prison. Tous deux font partie du commando des Brigades rouges italiennes qui s'apprête à enlever le dirigeant démocrate-chrétien.
Cette réalité historique est vite posée. A Chiara et Bruno se joignent Mariano (Luigi Lo Cascio), le chef, et Primo (Giovanni Calcagno). Dans l'appartement, ils bricolent, derrière une étagère, une cellule aveugle, comme des charpentiers construisant le décor d'un théâtre sans public. Jusqu'à ce qu'arrive une boîte, avec dedans un homme assommé, dont les gardes du corps ont été assassinés. A ce moment, les autres membres du commando, inventoriant les documents que contient la serviette de Moro, découvrent un scénario de film dont le titre est "Buongiorno, notte".
APOLOGIE DE LA FICTION
Cet incident inspiré de la réalité est la manière qu'a choisie Marco Bellocchio de nous dire que ce film ne sera ni une reconstitution historique ni une démonstration politique. A partir de ce moment, "Buongiorno, notte" s'éloigne, sans le perdre de vue, du terrain que jalonnent les faits historiques pour engager le combat du côté de l'imaginaire.
Tout le film vibre de cette tension entre le poids terrible de l'histoire et l'élan poétique du cinéma. Chiara en est l'incarnation. Elle vit une double vie, à la fois gardienne de "prison révolutionnaire" et bibliothécaire dans un ministère. Là, elle est courtisée par Enzo (Paolo Briguglia) un jeune homme qui, lui aussi, écrit un scénario intitulé "Buongiorno, notte". Elle repousse ses avances, refuse de l'entendre lorsqu'il fait l'apologie de la fiction face à l'absence d'imagination des terroristes. Mais, au fil des séquences, la jeune terroriste vacille face aux assauts conjugués des hypothèses de fiction et de la mémoire.
C'est dire que le récit de Bellocchio s'éloigne de son point de départ (le livre de souvenirs de la brigadiste Anna Laura Braghetti, Le Prisonnier) pour inventer d'autres hypothèses et explorer ce qu'aurait dû être l'imaginaire d'une jeune femme dans la situation de Chiara. Celle-ci se met à rêver, et lui apparaissent des images de l'iconographie communiste: le film funèbre que Dziga Vertov consacra à Lénine, ou les exécutions de partisans du "Paisà" de Rossellini. Dans l'une des plus belles séquences du film, Chiara échappe à sa prison, le temps d'un dimanche à la campagne, avec sa famille. Un vieillard entonne un chant de la résistance italienne, une noce passe à côté, se joint au chœur; s'impose avec une évidence douloureuse l'absurdité de la perversion terroriste, qui se réclame de cet héritage révolutionnaire, mais va tout juste parvenir à en accélérer la liquidation.
A ces moments arrachés au passé antérieur répondent les instants du passé simple, sous forme d'extraits des actualités télévisées. Les brigadistes écument de voir le dirigeant syndical Bruno Trentin les condamner brutalement devant une foule d'ouvriers; Paul VI appelle les brigadistes à la clémence. Bientôt, ces images perdent de leur réalité face à la force de la fiction que font prévaloir le cinéaste et ses interprètes. Maya Sansa, d'abord. On se souvient d'elle comme de la jeune femme solaire qui ne parvenait pas à arrêter la course à l'abîme du policier Matteo dans "Nos meilleures années". Ici, elle doit masquer sa beauté sous la terrible rigidité des gens qui ne doutent jamais, mais à chaque fois qu'elle laisse passer un sourire, toute la séquence en est illuminée. Plus elle existe, plus elle s'éloigne de ses compagnons, qui eux, ne désarment jamais, même face à la simple humanité de leur prisonnier. En Italie, on a reproché (entre mille autres choses) à Bellocchio de tracer d'Aldo Moro un portrait complaisant. Mais tout ce que l'on voit, c'est le désarroi d'un homme face à la mort, exprimé avec une émotion doucement teintée d'ironie par Roberto Herlitzka.
LA LUMIÈRE ET L'ÉMOTION
Quand les yeux de Chiara se dessillent, elle réalise que rien ne sépare Aldo Moro des résistants qui attendent leur exécution dans les geôles nazies. Qu'en revanche seul le pouvoir de l'imagination sépare la conclusion tragique de l'enlèvement d'une autre issue, qui ferait droit à l'humanité.
Ce cheminement, Marco Bellocchio l'accomplit en cinéaste. Pour un film qui se déroule essentiellement dans un appartement impersonnel, "Buongiorno, notte" déploie un luxe de moyens extraordinaire. Alors que son précédent film, "Le Sourire de ma mère", était un monochrome étouffant, "Buongiorno, notte" passe sans arrêt de l'ombre à la lumière, de l'immobilité carcérale au mouvement. Autant qu'un scénario d'une rigueur remarquable, ces alternances de mise en scène font naître l'émotion propre au film.
Un dernier mot sur deux séquences, les seules qui éloignent le film des brigadistes: l'une montre une séance de spiritisme dans un salon romain où des membres de la bonne société (on reconnaît parmi eux Bellocchio, avachi sur un canapé) demandent à un médium de les aider à retrouver Moro; un esprit nommé Bernardo situe le dirigeant démocrate-chrétien sur la Lune - à l'époque, Bernardo Bertolucci avait déserté le terrain politique pour tourner "La Luna"; d'autre part, au Vatican, un acteur pas très ressemblant incarne Paul VI, qui refuse, comme le lui a demandé Moro, d'intercéder auprès des dirigeants italiens afin d'ouvrir des négociations. Par deux fois, Bellocchio retrouve le style violent et sombre du "Sourire de ma mère", comme pour dire que, s'il faut solder une fois pour toutes, par le deuil et par l'imagination, les défaites d'hier, il reste des raisons de se mettre en colère.
LE MONDE 2.2.04 Marco Bellocchio: Pour qui est mort Aldo Moro?
Revenant sur la mort d'Aldo Moro - enlevé par les Brigades rouges, lâché par son parti, finalement exécuté -, Marco Bellocchio signe avec "Buongiorno, notte" un de ses plus beaux films.
par Philippe Piazzo
Mars 1978 : l'Italie est sous le choc. Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, est enlevé en pleine rue. Homme de droite, il œuvrait pour un rapprochement de son parti avec les communistes et était sur le point de parvenir à un compromis historique. L'organisation terroriste des Brigades rouges revendique l'action et retient Aldo Moro en captivité pendant cinquante-cinq jours... sans rien obtenir en échange pour sa libération. En mai, Aldo Moro est retrouvé assassiné. Cette fois, l'Italie est abasourdie. Le traumatisme est profond : il va modifier la donne politique. La mort d'un homme relativise les débats d'idées générales. Les affaires continuent, le contre-pouvoir critique s'estompe. Le cinéma italien, par exemple, prompt à la satire et au pamphlet, s'éteint doucement. Il n'y a plus la même invective. On essaie de comprendre, même ses adversaires.
Plus de vingt ans ont passé, mais l'Italie ne s'est jamais vraiment remise de "l'affaire Moro". Des livres continuent de paraître - enquêtes, contre-enquêtes, "révélations" sur l'implication des Américains, de la loge maçonnique P2... -, et le cinéma raconte encore cette histoire. Seulement, pour la première fois, le film est un chef-d'œuvre. Qui respecte les faits, mais offre un regard très personnel, intime, sur un drame collectif. Buongiorno, notte, film de commande pour la télévision publique, est signé Marco Bellocchio, et c'est l'une de ses plus belles réussites.
Le cinéaste n'a pas fait d'enquête. Il a simplement rencontré, brièvement, l'un des membres de ces "Brigades rouges" et s'est surtout ins-piré du récit de la seule femme (elle n'avait alors qu'une vingtaine d'années) qui avait participé à l'enlèvement. "Dans une démarche artistique, explique Marco Bellocchio, il est d'après moi inévitable de resserrer son regard et de faire une mise au point. Se focaliser. Tout n'a pas besoin d'être approfondi. On peut faire tout un film sur un détail, c'est un choix de départ. Je n'ai jamais eu l'intention de tout raconter d'Aldo Moro... J'ai préféré suivre ce personnage de femme qui avait été sa geôlière. Le faisant, j'ai trahi dans un certain sens la vérité historique en m'éloignant des autres."
Mais Bellocchio trouve une autre vérité, plus universelle. Car, en grande partie recentrée sur le huis clos de sa prison, l'histoire d'Aldo Moro devient multiple. Et recoupe, notamment, l'œuvre du cinéaste. Il suffit d'énoncer les titres de ses premiers films : "Les Poings dans les poches" (1965), "La Chine est proche" (1967) et "Au nom du père" (1971). La révolte est au cœur de son cinéma. C'est une révolte qui, au fil des années, s'est trouvé différentes cibles. Elles se sont presque toujours confondues, mais on peut les distinguer plus ou moins nettement à travers les époques. Le système politique combattu dans les années 1960 a laissé presque toute la place, dans les années 1980, au système familial, carcan névrotique. Enfin, depuis près de quinze ans, en laissant ces deux systèmes à l'arrière-plan, ce sont les mécanismes humains qu'il critique en les décortiquant ("Le Saut dans le vide"). Ce sont les méandres de l'esprit et de son inconscient qui, alors, intriguent Bellocchio. Travaillant régulièrement avec son propre psychanalyste comme coscénariste ("Le Diable au corps", avec Maruschka Detmers, "Autour du désir"...), le cinéaste s'interroge toujours sur les frontières entre la folie et la raison, mais prend pour appui l'étude des désirs (sexuels, d'abord; de pouvoir et de domination, ensuite). On a beaucoup dit à propos de ces films - dont certains n'ont même pas été distribués en France - qu'ils menaient le cinéaste dans une impasse. Mais "l'égarement, dit Bellocchio, c'est le propre d'une œuvre d'art".
Pour les créateurs, les impasses sont parfois des chemins de traverse. Il y a deux ans, "Le Sourire de ma mère" - l'histoire d'un homme pris dans un engrenage kafkaïen parce qu'il refuse de voir sa mère défunte canonisée par l'Eglise - faisait déjà figure de coup d'éclat. Avec "Buongiorno, notte", on retrouve, de façon encore plus forte, tout Bellocchio, de façon superbe. Sa réflexion, comme nourrie de ses précédents tâtonnements, apparaît encore plus évidente.
"Buongiorno, notte" raconte ainsi, par la bande, comment il est possible de s'enfermer dans un système répressif... que nous créons nous-mêmes, parfois sans le savoir, et dont nous sommes à la fois la victime et le bourreau. La tragédie des Brigades rouges - et des êtres humains. La tragédie d'Aldo Moro - et celle d'un homme, d'un pays, d'un idéalisme politique. Presque tout le film se dé-roule dans l'appartement où Aldo Moro va vivre ses derniers jours. Quand nous quittons l'appartement, c'est pour mieux y revenir. Fatalement. Il prend alors, peu à peu, une dimension symbolique. Comme une scène de théâtre. Une scène où se jouent des drames de toutes natures. Scène d'un rituel lentement funèbre.
L'appartement, avec sa terrasse protégée par une grille, est bien, ici, d'emblée, un tombeau. Et les conflits matériels y trouvent des prolongements qui soulignent des déchirements intérieurs. A l'image de son titre - emprunté à un poème d'Emily Dickinson -, qui unit deux opposés (le jour et la nuit), le film, tout en suivant la ligne limpide des faits chronologiques, met en évidence les contradictions et les revirements qui agitent les personnages. Leurs doutes, leurs peurs, leurs obsessions, leurs dérives (paranoïaques, schizophrènes)... Une façon, pour le prisonnier comme pour sa geôlière, d'être perdu, un beau matin, au milieu même de ses certitudes.
"J'ai trouvé important, dit Bellocchio, d'introduire des éléments dialectiques. C'est là que réside la dynamique de cette histoire. Je maintiens le point de départ et le point d'arrivée mais, entre les deux, on creuse, on cherche." Appuyant la mise en scène, les comédiens (remarquables : Roberto Herlitzka, vu en père de Valeria Bruni Tedeschi dans le premier film de celle-ci, Il est plus facile pour un chameau..., et Maya Sansa, la belle Sicilienne de "Nos meilleures années") font ressentir à la perfection ces lents glissements qui rendent leurs personnages particulièrement humains en dépassant leur fonction première.
Aldo Moro n'est bientôt plus qu'un symbole du pouvoir, puis de la compromission, mais aussi une image du père (que même le Saint-Père du Vatican ne parviendra pas à sauver). Celle qui le garde pourrait être sa fille. Elle agit, juge, condamne... avant de retourner sa sévérité contre elle-même. Car "Buongiorno, notte" est un film sur la terreur qu'inspire le pouvoir. Et la terreur qui s'inflige en retour. Avec, en filigrane, la terreur de découvrir que l'ennemi est tout proche. En soi. Marco Bellocchio a dédié "Buongiorno, notte" à son père.
LE MONDE 3.2.04 "Buongiorno, notte" de Marco Bellocchio. Sortie cette semaine.
Le Sourire de ma mère (2002) Sortie en DVD chez Océan.
"Une position étrangère à la logique de la lutte armée" Marco Bellocchio, réalisateur.
Propos recueillis par Jacques Mandelbaum
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.04
Ce film consacré à l'affaire Aldo Moro est à l'origine une commande. qu'est-ce qui vous a déterminé à l'accepter?
Cette proposition m'a été faite par la société de production cinématographique Zéro Un. Elle m'a d'abord plongé dans le doute, mais j'ai très rapidement compris que je disposerais d'une liberté totale, aussi bien sur le fond que sur la forme. Je pense que ce qui a été déterminant dans ma décision, c'est précisément le sentiment que je pourrais modifier, et même trahir, la chronique de ces événements telle qu'elle existe dans le livre d'Anna Laura Braghetti - Il Prigioniero, avec Paola Tavella, éd. Mondadori, trad. française chez Denoël -, dont je me suis inspiré. Cette liberté, je l'ai surtout utilisée autour du personnage de Chiara, dont Braghetti est le modèle, en m'efforçant surtout d'infléchir le sentiment de tragédie inexorable qui est attaché à cette affaire.
N'est-ce pas plutôt parce que le scénario de votre film se trouvait dans les affaires d'Aldo Moro que vous l'avez réalisé?
La tournure de votre question est si fascinante qu'on a presque envie de vous donner raison. En fait, Braghetti évoque dans son livre la présence d'un scénario dans les affaires d'Aldo Moro, et c'est un élément d'information qui m'a évidemment stimulé. Ça m'a poussé à inventer une histoire parallèle, avec la rencontre entre Chiara et ce jeune homme qui se révèle l'auteur du scénario en question, intitulé Buongiorno, notte. Ce jeune homme, qui fait son service civil à la bibliothèque où travaille Chiara, est là pour témoigner de la possibilité d'une résistance pacifique au gouvernement sans pour autant accréditer les thèses extrémistes des brigadistes. C'est évidemment une position que je partage.
Cette position, entre les événements de l'époque et aujourd'hui, a-t-elle évolué?
Oui, en vingt-cinq ans, mon jugement a certainement changé, mais pas d'une manière substantielle. En 1968, en dépit de mon militantisme de gauche, j'étais déjà sur une position étrangère à la logique de la lutte armée et du terrorisme. Je dois ajouter que je n'appartenais pas non plus à ce qu'on a appelé en Italie le Movimento, cette tendance de l'extrême gauche dont la devise était "Ni avec les Brigades, ni avec l'Etat". Car la neutralité bienveillante dont faisait preuve ce mouvement à l'égard du terrorisme est ce qui a permis aux Brigades d'agir aussi longtemps en toute impunité. C'est l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro qui ont précisément mis fin à ce soutien tacite.
L'une des caractéristiques les plus marquantes du film, sur le plan esthétique, est la confrontation entre les différents registres d'images. Y avez-vous pensé d'emblée?
L'omniprésence d'images de la télévision officielle de l'époque est quelque chose que j'ai envisagé dès le stade du scénario. Je tenais à ce que l'on retrouve une chronique de cette affaire, du point de vue de l'institution. Les extraits de film sont venus plus tard, comme des icônes représentatives de l'univers mental d'une certaine gauche italienne, depuis Dziga Vertov jusqu'à Rossellini. Ainsi l'enterrement de Lénine, qui figure dans le film de Vertov Trois chants sur Lénine, illustre, avec ce qui va suivre sous l'égide de Staline, ce moment historique où l'on assiste à la mort d'une utopie. Les brigadistes, eux, considéraient au contraire Staline comme un grand révolutionnaire. De même, ils ont dévoyé l'idéal de la résistance italienne issue de la seconde guerre mondiale, en prenant les armes en son nom et en stigmatisant l'attitude du Parti communiste italien, qui avait rejoint le gouvernement.
Il y a une scène dans votre film qui mérite un éclaircissement. C'est celle des tables tournantes, au cours de laquelle les amis d'Aldo Moro demandent à "l'esprit de Bernardo" où se trouve le séquestré. Celui-ci leur répond dans "La Luna", qui est un film de Bertolucci, et l'on se demande tout à coup ce que celui-ci vient faire dans cette histoire?
Je tenais à faire figurer cette séance de spiritisme, qui s'est réellement déroulée, notamment avec Romano Prodi, parce qu'elle indique qu'on ne savait vraiment plus à quel saint se vouer. J'ai donc fait appel à mon tour à un médium, qui s'est mis à invoquer "l'esprit de Bernardo", lequel a répondu qu'Aldo Moro était sur la Lune. Je n'ai donc rien inventé, et j'étais tellement surpris moi-même que j'ai appelé Bernardo pour lui demander l'autorisation de faire figurer ce dialogue dans le film. On est ici dans le domaine de l'inconscient.
Comment interprétez-vous, dans ce cas, cette mystérieuse voix de l'inconscient?
Je ne sais pas, il faudrait demander à un psychanalyste... Mes rapports avec Bernardo, qui ont été polémiques, sont aujourd'hui pacifiés.
Comment vous sentez-vous, comme citoyen et comme cinéaste, dans l'Italie d'aujourd'hui?
A titre personnel, au vu de l'accueil du film en Italie, tout me porte à envisager les choses avec sérénité. Sur le plan plus général, la situation est objectivement déprimante, non seulement en raison de la nature du gouvernement actuel, mais aussi du point de vue de l'évolution de la société dans son ensemble, qui est de plus en plus soumise à des forces et à des idées monopolistiques. La démocratie italienne, mais elle n'est pas seule dans ce cas, est de ce point de vue une démocratie très imparfaite.
LE MONDE 03.02.04
En Italie, un succès public malgré les polémiques
par Salvatore Aloïse
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.04
Six mois à peine après sa sortie dans la péninsule, "Buongiorno, notte" a droit à trois étoiles et demie (sur quatre) dans l'édition 2004 du dictionnaire des films de Paolo Mereghetti, la bible des cinéphiles italiens. Quant aux polémiques sur l'"humanisation" des terroristes, elles n'ont pas de raison d'être "vu que les gardiens d'Aldo Moro sont décrits dans leur médiocrité inhumaine", estime Mereghetti.
Lors de sa présentation, le film avait été accusé de "révisionnisme". Mais la majorité des critiques lui reconnaissait le mérite d'éviter de parler de manipulation du KGB ou de la CIA pour "concentrer le drame de toute une époque dans le conflit d'une brigadiste", comme l'écrivait Il Messaggero. La brigadiste, ou le maillon faible de la chaîne dans l'optique terroriste, celle qui se montre "non disponible pour renoncer à la vie".
C'est "l'histoire dans une pièce", avait résumé Il Manifesto. Explicitement "infidèle", "faux", et "ne voulant révéler aucune nouvelle vérité", le film parvient néanmoins, avec les images crues de l'époque, à montrer comment les amis d'Aldo Moro ne firent rien pour empêcher son exécution. Pour Paolo Franchi, du Corriere della sera, le film oblige à se pencher sur ce traumatisme qui représente la vraie fin de la première République italienne.
INCOMPRIS À VENISE
Et le rêve de la brigadiste Chiara (la liberté pour Aldo Moro) est une possibilité que le "parti de la négociation" tenta de sauvegarder jusqu'au bout et le "parti de la fermeté" d'éviter à tout prix. Mais ce rêve aurait pu être une réalité. Aldo Moro vivant, après ses cinquante-cinq jours passés dans la "prison du peuple", aurait changé le cours de l'histoire du pays.
Tout semblait devoir conduire "Buongiorno, notte" au Lion d'or de l'édition 2003 de la Mostra de Venise. Ce ne fut pas le cas, mais une suite de polémiques. Un film non compris par les non-Italiens? Pas assez défendu par le président du jury, le cinéaste Mario Monicelli, qui lui a publiquement reproché ses libertés avec l'histoire? Bellocchio quitta Venise, afin de ne pas recevoir le Prix du meilleur scénario original, jugé humiliant. Quant à la RAI, commanditaire du film, elle jura de ne plus faire concourir de films à Venise.
"Buongiorno, notte", qui a coûté 3,8 millions d'euros, en a encaissé 3,5 millions, selon une estimation basée sur 75 % à 80 % des salles où il a été distribué. A cette somme, il faut ajouter 700 à 800 millions d'euros qu'ont rapportés les projections dans les écoles, où il est l'un des films les plus vus.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.04
Ni reconstitution historique ni démonstration politique, ce film de Marco Bellocchio relatant l'assassinat d'Aldo Moro en Italie en 1979 explore l'imaginaire d'une jeune femme membre des Brigades rouges.
C'est une sale vieille histoire, et l'on croit un moment que Marco Bellocchio a choisi de nous la raconter par le menu. Un couple visite un appartement romain. L'agent immobilier est chevelu et barbu, mais il n'est pas besoin de cet indice pour savoir que tout ça se passe il y a plus d'un quart de siècle. Depuis le festival de Venise, où "Buongiorno, notte" a été chaleureusement accueilli et chichement primé, on sait qu'il sera question de l'assassinat d'Aldo Moro. Qui lisait les journaux en 1978 se souvient des photos terribles d'un homme défait, au regard désespéré, fixé devant une dérisoire bannière.
Ces images vont bientôt se mettre à bouger. Le couple, Chiara (Maya Sansa), très belle, et Ernesto (Pier Giorgio Bellocchio, fils du cinéaste), bien mis, ne cherche pas un logement, mais une prison. Tous deux font partie du commando des Brigades rouges italiennes qui s'apprête à enlever le dirigeant démocrate-chrétien.
Cette réalité historique est vite posée. A Chiara et Bruno se joignent Mariano (Luigi Lo Cascio), le chef, et Primo (Giovanni Calcagno). Dans l'appartement, ils bricolent, derrière une étagère, une cellule aveugle, comme des charpentiers construisant le décor d'un théâtre sans public. Jusqu'à ce qu'arrive une boîte, avec dedans un homme assommé, dont les gardes du corps ont été assassinés. A ce moment, les autres membres du commando, inventoriant les documents que contient la serviette de Moro, découvrent un scénario de film dont le titre est "Buongiorno, notte".
APOLOGIE DE LA FICTION
Cet incident inspiré de la réalité est la manière qu'a choisie Marco Bellocchio de nous dire que ce film ne sera ni une reconstitution historique ni une démonstration politique. A partir de ce moment, "Buongiorno, notte" s'éloigne, sans le perdre de vue, du terrain que jalonnent les faits historiques pour engager le combat du côté de l'imaginaire.
Tout le film vibre de cette tension entre le poids terrible de l'histoire et l'élan poétique du cinéma. Chiara en est l'incarnation. Elle vit une double vie, à la fois gardienne de "prison révolutionnaire" et bibliothécaire dans un ministère. Là, elle est courtisée par Enzo (Paolo Briguglia) un jeune homme qui, lui aussi, écrit un scénario intitulé "Buongiorno, notte". Elle repousse ses avances, refuse de l'entendre lorsqu'il fait l'apologie de la fiction face à l'absence d'imagination des terroristes. Mais, au fil des séquences, la jeune terroriste vacille face aux assauts conjugués des hypothèses de fiction et de la mémoire.
C'est dire que le récit de Bellocchio s'éloigne de son point de départ (le livre de souvenirs de la brigadiste Anna Laura Braghetti, Le Prisonnier) pour inventer d'autres hypothèses et explorer ce qu'aurait dû être l'imaginaire d'une jeune femme dans la situation de Chiara. Celle-ci se met à rêver, et lui apparaissent des images de l'iconographie communiste: le film funèbre que Dziga Vertov consacra à Lénine, ou les exécutions de partisans du "Paisà" de Rossellini. Dans l'une des plus belles séquences du film, Chiara échappe à sa prison, le temps d'un dimanche à la campagne, avec sa famille. Un vieillard entonne un chant de la résistance italienne, une noce passe à côté, se joint au chœur; s'impose avec une évidence douloureuse l'absurdité de la perversion terroriste, qui se réclame de cet héritage révolutionnaire, mais va tout juste parvenir à en accélérer la liquidation.
A ces moments arrachés au passé antérieur répondent les instants du passé simple, sous forme d'extraits des actualités télévisées. Les brigadistes écument de voir le dirigeant syndical Bruno Trentin les condamner brutalement devant une foule d'ouvriers; Paul VI appelle les brigadistes à la clémence. Bientôt, ces images perdent de leur réalité face à la force de la fiction que font prévaloir le cinéaste et ses interprètes. Maya Sansa, d'abord. On se souvient d'elle comme de la jeune femme solaire qui ne parvenait pas à arrêter la course à l'abîme du policier Matteo dans "Nos meilleures années". Ici, elle doit masquer sa beauté sous la terrible rigidité des gens qui ne doutent jamais, mais à chaque fois qu'elle laisse passer un sourire, toute la séquence en est illuminée. Plus elle existe, plus elle s'éloigne de ses compagnons, qui eux, ne désarment jamais, même face à la simple humanité de leur prisonnier. En Italie, on a reproché (entre mille autres choses) à Bellocchio de tracer d'Aldo Moro un portrait complaisant. Mais tout ce que l'on voit, c'est le désarroi d'un homme face à la mort, exprimé avec une émotion doucement teintée d'ironie par Roberto Herlitzka.
LA LUMIÈRE ET L'ÉMOTION
Quand les yeux de Chiara se dessillent, elle réalise que rien ne sépare Aldo Moro des résistants qui attendent leur exécution dans les geôles nazies. Qu'en revanche seul le pouvoir de l'imagination sépare la conclusion tragique de l'enlèvement d'une autre issue, qui ferait droit à l'humanité.
Ce cheminement, Marco Bellocchio l'accomplit en cinéaste. Pour un film qui se déroule essentiellement dans un appartement impersonnel, "Buongiorno, notte" déploie un luxe de moyens extraordinaire. Alors que son précédent film, "Le Sourire de ma mère", était un monochrome étouffant, "Buongiorno, notte" passe sans arrêt de l'ombre à la lumière, de l'immobilité carcérale au mouvement. Autant qu'un scénario d'une rigueur remarquable, ces alternances de mise en scène font naître l'émotion propre au film.
Un dernier mot sur deux séquences, les seules qui éloignent le film des brigadistes: l'une montre une séance de spiritisme dans un salon romain où des membres de la bonne société (on reconnaît parmi eux Bellocchio, avachi sur un canapé) demandent à un médium de les aider à retrouver Moro; un esprit nommé Bernardo situe le dirigeant démocrate-chrétien sur la Lune - à l'époque, Bernardo Bertolucci avait déserté le terrain politique pour tourner "La Luna"; d'autre part, au Vatican, un acteur pas très ressemblant incarne Paul VI, qui refuse, comme le lui a demandé Moro, d'intercéder auprès des dirigeants italiens afin d'ouvrir des négociations. Par deux fois, Bellocchio retrouve le style violent et sombre du "Sourire de ma mère", comme pour dire que, s'il faut solder une fois pour toutes, par le deuil et par l'imagination, les défaites d'hier, il reste des raisons de se mettre en colère.
LE MONDE 2.2.04 Marco Bellocchio: Pour qui est mort Aldo Moro?
Revenant sur la mort d'Aldo Moro - enlevé par les Brigades rouges, lâché par son parti, finalement exécuté -, Marco Bellocchio signe avec "Buongiorno, notte" un de ses plus beaux films.
par Philippe Piazzo
Mars 1978 : l'Italie est sous le choc. Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, est enlevé en pleine rue. Homme de droite, il œuvrait pour un rapprochement de son parti avec les communistes et était sur le point de parvenir à un compromis historique. L'organisation terroriste des Brigades rouges revendique l'action et retient Aldo Moro en captivité pendant cinquante-cinq jours... sans rien obtenir en échange pour sa libération. En mai, Aldo Moro est retrouvé assassiné. Cette fois, l'Italie est abasourdie. Le traumatisme est profond : il va modifier la donne politique. La mort d'un homme relativise les débats d'idées générales. Les affaires continuent, le contre-pouvoir critique s'estompe. Le cinéma italien, par exemple, prompt à la satire et au pamphlet, s'éteint doucement. Il n'y a plus la même invective. On essaie de comprendre, même ses adversaires.
Plus de vingt ans ont passé, mais l'Italie ne s'est jamais vraiment remise de "l'affaire Moro". Des livres continuent de paraître - enquêtes, contre-enquêtes, "révélations" sur l'implication des Américains, de la loge maçonnique P2... -, et le cinéma raconte encore cette histoire. Seulement, pour la première fois, le film est un chef-d'œuvre. Qui respecte les faits, mais offre un regard très personnel, intime, sur un drame collectif. Buongiorno, notte, film de commande pour la télévision publique, est signé Marco Bellocchio, et c'est l'une de ses plus belles réussites.
Le cinéaste n'a pas fait d'enquête. Il a simplement rencontré, brièvement, l'un des membres de ces "Brigades rouges" et s'est surtout ins-piré du récit de la seule femme (elle n'avait alors qu'une vingtaine d'années) qui avait participé à l'enlèvement. "Dans une démarche artistique, explique Marco Bellocchio, il est d'après moi inévitable de resserrer son regard et de faire une mise au point. Se focaliser. Tout n'a pas besoin d'être approfondi. On peut faire tout un film sur un détail, c'est un choix de départ. Je n'ai jamais eu l'intention de tout raconter d'Aldo Moro... J'ai préféré suivre ce personnage de femme qui avait été sa geôlière. Le faisant, j'ai trahi dans un certain sens la vérité historique en m'éloignant des autres."
Mais Bellocchio trouve une autre vérité, plus universelle. Car, en grande partie recentrée sur le huis clos de sa prison, l'histoire d'Aldo Moro devient multiple. Et recoupe, notamment, l'œuvre du cinéaste. Il suffit d'énoncer les titres de ses premiers films : "Les Poings dans les poches" (1965), "La Chine est proche" (1967) et "Au nom du père" (1971). La révolte est au cœur de son cinéma. C'est une révolte qui, au fil des années, s'est trouvé différentes cibles. Elles se sont presque toujours confondues, mais on peut les distinguer plus ou moins nettement à travers les époques. Le système politique combattu dans les années 1960 a laissé presque toute la place, dans les années 1980, au système familial, carcan névrotique. Enfin, depuis près de quinze ans, en laissant ces deux systèmes à l'arrière-plan, ce sont les mécanismes humains qu'il critique en les décortiquant ("Le Saut dans le vide"). Ce sont les méandres de l'esprit et de son inconscient qui, alors, intriguent Bellocchio. Travaillant régulièrement avec son propre psychanalyste comme coscénariste ("Le Diable au corps", avec Maruschka Detmers, "Autour du désir"...), le cinéaste s'interroge toujours sur les frontières entre la folie et la raison, mais prend pour appui l'étude des désirs (sexuels, d'abord; de pouvoir et de domination, ensuite). On a beaucoup dit à propos de ces films - dont certains n'ont même pas été distribués en France - qu'ils menaient le cinéaste dans une impasse. Mais "l'égarement, dit Bellocchio, c'est le propre d'une œuvre d'art".
Pour les créateurs, les impasses sont parfois des chemins de traverse. Il y a deux ans, "Le Sourire de ma mère" - l'histoire d'un homme pris dans un engrenage kafkaïen parce qu'il refuse de voir sa mère défunte canonisée par l'Eglise - faisait déjà figure de coup d'éclat. Avec "Buongiorno, notte", on retrouve, de façon encore plus forte, tout Bellocchio, de façon superbe. Sa réflexion, comme nourrie de ses précédents tâtonnements, apparaît encore plus évidente.
"Buongiorno, notte" raconte ainsi, par la bande, comment il est possible de s'enfermer dans un système répressif... que nous créons nous-mêmes, parfois sans le savoir, et dont nous sommes à la fois la victime et le bourreau. La tragédie des Brigades rouges - et des êtres humains. La tragédie d'Aldo Moro - et celle d'un homme, d'un pays, d'un idéalisme politique. Presque tout le film se dé-roule dans l'appartement où Aldo Moro va vivre ses derniers jours. Quand nous quittons l'appartement, c'est pour mieux y revenir. Fatalement. Il prend alors, peu à peu, une dimension symbolique. Comme une scène de théâtre. Une scène où se jouent des drames de toutes natures. Scène d'un rituel lentement funèbre.
L'appartement, avec sa terrasse protégée par une grille, est bien, ici, d'emblée, un tombeau. Et les conflits matériels y trouvent des prolongements qui soulignent des déchirements intérieurs. A l'image de son titre - emprunté à un poème d'Emily Dickinson -, qui unit deux opposés (le jour et la nuit), le film, tout en suivant la ligne limpide des faits chronologiques, met en évidence les contradictions et les revirements qui agitent les personnages. Leurs doutes, leurs peurs, leurs obsessions, leurs dérives (paranoïaques, schizophrènes)... Une façon, pour le prisonnier comme pour sa geôlière, d'être perdu, un beau matin, au milieu même de ses certitudes.
"J'ai trouvé important, dit Bellocchio, d'introduire des éléments dialectiques. C'est là que réside la dynamique de cette histoire. Je maintiens le point de départ et le point d'arrivée mais, entre les deux, on creuse, on cherche." Appuyant la mise en scène, les comédiens (remarquables : Roberto Herlitzka, vu en père de Valeria Bruni Tedeschi dans le premier film de celle-ci, Il est plus facile pour un chameau..., et Maya Sansa, la belle Sicilienne de "Nos meilleures années") font ressentir à la perfection ces lents glissements qui rendent leurs personnages particulièrement humains en dépassant leur fonction première.
Aldo Moro n'est bientôt plus qu'un symbole du pouvoir, puis de la compromission, mais aussi une image du père (que même le Saint-Père du Vatican ne parviendra pas à sauver). Celle qui le garde pourrait être sa fille. Elle agit, juge, condamne... avant de retourner sa sévérité contre elle-même. Car "Buongiorno, notte" est un film sur la terreur qu'inspire le pouvoir. Et la terreur qui s'inflige en retour. Avec, en filigrane, la terreur de découvrir que l'ennemi est tout proche. En soi. Marco Bellocchio a dédié "Buongiorno, notte" à son père.
LE MONDE 3.2.04 "Buongiorno, notte" de Marco Bellocchio. Sortie cette semaine.
Le Sourire de ma mère (2002) Sortie en DVD chez Océan.
"Une position étrangère à la logique de la lutte armée" Marco Bellocchio, réalisateur.
Propos recueillis par Jacques Mandelbaum
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.04
Ce film consacré à l'affaire Aldo Moro est à l'origine une commande. qu'est-ce qui vous a déterminé à l'accepter?
Cette proposition m'a été faite par la société de production cinématographique Zéro Un. Elle m'a d'abord plongé dans le doute, mais j'ai très rapidement compris que je disposerais d'une liberté totale, aussi bien sur le fond que sur la forme. Je pense que ce qui a été déterminant dans ma décision, c'est précisément le sentiment que je pourrais modifier, et même trahir, la chronique de ces événements telle qu'elle existe dans le livre d'Anna Laura Braghetti - Il Prigioniero, avec Paola Tavella, éd. Mondadori, trad. française chez Denoël -, dont je me suis inspiré. Cette liberté, je l'ai surtout utilisée autour du personnage de Chiara, dont Braghetti est le modèle, en m'efforçant surtout d'infléchir le sentiment de tragédie inexorable qui est attaché à cette affaire.
N'est-ce pas plutôt parce que le scénario de votre film se trouvait dans les affaires d'Aldo Moro que vous l'avez réalisé?
La tournure de votre question est si fascinante qu'on a presque envie de vous donner raison. En fait, Braghetti évoque dans son livre la présence d'un scénario dans les affaires d'Aldo Moro, et c'est un élément d'information qui m'a évidemment stimulé. Ça m'a poussé à inventer une histoire parallèle, avec la rencontre entre Chiara et ce jeune homme qui se révèle l'auteur du scénario en question, intitulé Buongiorno, notte. Ce jeune homme, qui fait son service civil à la bibliothèque où travaille Chiara, est là pour témoigner de la possibilité d'une résistance pacifique au gouvernement sans pour autant accréditer les thèses extrémistes des brigadistes. C'est évidemment une position que je partage.
Cette position, entre les événements de l'époque et aujourd'hui, a-t-elle évolué?
Oui, en vingt-cinq ans, mon jugement a certainement changé, mais pas d'une manière substantielle. En 1968, en dépit de mon militantisme de gauche, j'étais déjà sur une position étrangère à la logique de la lutte armée et du terrorisme. Je dois ajouter que je n'appartenais pas non plus à ce qu'on a appelé en Italie le Movimento, cette tendance de l'extrême gauche dont la devise était "Ni avec les Brigades, ni avec l'Etat". Car la neutralité bienveillante dont faisait preuve ce mouvement à l'égard du terrorisme est ce qui a permis aux Brigades d'agir aussi longtemps en toute impunité. C'est l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro qui ont précisément mis fin à ce soutien tacite.
L'une des caractéristiques les plus marquantes du film, sur le plan esthétique, est la confrontation entre les différents registres d'images. Y avez-vous pensé d'emblée?
L'omniprésence d'images de la télévision officielle de l'époque est quelque chose que j'ai envisagé dès le stade du scénario. Je tenais à ce que l'on retrouve une chronique de cette affaire, du point de vue de l'institution. Les extraits de film sont venus plus tard, comme des icônes représentatives de l'univers mental d'une certaine gauche italienne, depuis Dziga Vertov jusqu'à Rossellini. Ainsi l'enterrement de Lénine, qui figure dans le film de Vertov Trois chants sur Lénine, illustre, avec ce qui va suivre sous l'égide de Staline, ce moment historique où l'on assiste à la mort d'une utopie. Les brigadistes, eux, considéraient au contraire Staline comme un grand révolutionnaire. De même, ils ont dévoyé l'idéal de la résistance italienne issue de la seconde guerre mondiale, en prenant les armes en son nom et en stigmatisant l'attitude du Parti communiste italien, qui avait rejoint le gouvernement.
Il y a une scène dans votre film qui mérite un éclaircissement. C'est celle des tables tournantes, au cours de laquelle les amis d'Aldo Moro demandent à "l'esprit de Bernardo" où se trouve le séquestré. Celui-ci leur répond dans "La Luna", qui est un film de Bertolucci, et l'on se demande tout à coup ce que celui-ci vient faire dans cette histoire?
Je tenais à faire figurer cette séance de spiritisme, qui s'est réellement déroulée, notamment avec Romano Prodi, parce qu'elle indique qu'on ne savait vraiment plus à quel saint se vouer. J'ai donc fait appel à mon tour à un médium, qui s'est mis à invoquer "l'esprit de Bernardo", lequel a répondu qu'Aldo Moro était sur la Lune. Je n'ai donc rien inventé, et j'étais tellement surpris moi-même que j'ai appelé Bernardo pour lui demander l'autorisation de faire figurer ce dialogue dans le film. On est ici dans le domaine de l'inconscient.
Comment interprétez-vous, dans ce cas, cette mystérieuse voix de l'inconscient?
Je ne sais pas, il faudrait demander à un psychanalyste... Mes rapports avec Bernardo, qui ont été polémiques, sont aujourd'hui pacifiés.
Comment vous sentez-vous, comme citoyen et comme cinéaste, dans l'Italie d'aujourd'hui?
A titre personnel, au vu de l'accueil du film en Italie, tout me porte à envisager les choses avec sérénité. Sur le plan plus général, la situation est objectivement déprimante, non seulement en raison de la nature du gouvernement actuel, mais aussi du point de vue de l'évolution de la société dans son ensemble, qui est de plus en plus soumise à des forces et à des idées monopolistiques. La démocratie italienne, mais elle n'est pas seule dans ce cas, est de ce point de vue une démocratie très imparfaite.
LE MONDE 03.02.04
En Italie, un succès public malgré les polémiques
par Salvatore Aloïse
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.04
Six mois à peine après sa sortie dans la péninsule, "Buongiorno, notte" a droit à trois étoiles et demie (sur quatre) dans l'édition 2004 du dictionnaire des films de Paolo Mereghetti, la bible des cinéphiles italiens. Quant aux polémiques sur l'"humanisation" des terroristes, elles n'ont pas de raison d'être "vu que les gardiens d'Aldo Moro sont décrits dans leur médiocrité inhumaine", estime Mereghetti.
Lors de sa présentation, le film avait été accusé de "révisionnisme". Mais la majorité des critiques lui reconnaissait le mérite d'éviter de parler de manipulation du KGB ou de la CIA pour "concentrer le drame de toute une époque dans le conflit d'une brigadiste", comme l'écrivait Il Messaggero. La brigadiste, ou le maillon faible de la chaîne dans l'optique terroriste, celle qui se montre "non disponible pour renoncer à la vie".
C'est "l'histoire dans une pièce", avait résumé Il Manifesto. Explicitement "infidèle", "faux", et "ne voulant révéler aucune nouvelle vérité", le film parvient néanmoins, avec les images crues de l'époque, à montrer comment les amis d'Aldo Moro ne firent rien pour empêcher son exécution. Pour Paolo Franchi, du Corriere della sera, le film oblige à se pencher sur ce traumatisme qui représente la vraie fin de la première République italienne.
INCOMPRIS À VENISE
Et le rêve de la brigadiste Chiara (la liberté pour Aldo Moro) est une possibilité que le "parti de la négociation" tenta de sauvegarder jusqu'au bout et le "parti de la fermeté" d'éviter à tout prix. Mais ce rêve aurait pu être une réalité. Aldo Moro vivant, après ses cinquante-cinq jours passés dans la "prison du peuple", aurait changé le cours de l'histoire du pays.
Tout semblait devoir conduire "Buongiorno, notte" au Lion d'or de l'édition 2003 de la Mostra de Venise. Ce ne fut pas le cas, mais une suite de polémiques. Un film non compris par les non-Italiens? Pas assez défendu par le président du jury, le cinéaste Mario Monicelli, qui lui a publiquement reproché ses libertés avec l'histoire? Bellocchio quitta Venise, afin de ne pas recevoir le Prix du meilleur scénario original, jugé humiliant. Quant à la RAI, commanditaire du film, elle jura de ne plus faire concourir de films à Venise.
"Buongiorno, notte", qui a coûté 3,8 millions d'euros, en a encaissé 3,5 millions, selon une estimation basée sur 75 % à 80 % des salles où il a été distribué. A cette somme, il faut ajouter 700 à 800 millions d'euros qu'ont rapportés les projections dans les écoles, où il est l'un des films les plus vus.
"Buongiorno, notte" esce in Francia:
una sintesi dell'articolo di "Le Monde"
lo spettacolo.it 3.2.04
LE MONDE APPLAUDE "BUONGIORNO, NOTTE"
In arrivo sugli schermi francesi il film di Bellocchio
Le Monde anticipa l'uscita di Buongiorno, notte in Francia con un'intera pagina di elogi per l'opera di Marco Bellocchio.
Entusiasmo in particolare per l'attrice, Maya Sansa: "Ci ricordiamo di lei come della giovane donna solare che non arrivava a fermare la corsa verso l'abisso del giovane poliziotto in "La meglio gioventù - scrive il quotidiano francese - qui deve mascherare la sua bellezza sotto la terribile rigidità della gente che non ha mai dubbi, ma ogni volta che lascia passare un sorriso, tutta la sequenza ne é illuminata".
Molto critico invece il giudizio di Le Monde per i rimproveri mossi dalla stampa italiana al film, reo di ritrarre un'immagine compiacente di Aldo Moro.
"Tutto quello che si vede, è lo smarrimento di un uomo di fronte alla morte, espressa con un'emozione appena tinta d'ironia da Roberto Herlitzka" contesta infatti il quotidiano francese.
Molto apprezzata infine la sceneggiatura rigorosa e l'alternanza del passaggio dall'ombra alla luce, dall'immobilità carcerale al movimento.
LE MONDE APPLAUDE "BUONGIORNO, NOTTE"
In arrivo sugli schermi francesi il film di Bellocchio
Le Monde anticipa l'uscita di Buongiorno, notte in Francia con un'intera pagina di elogi per l'opera di Marco Bellocchio.
Entusiasmo in particolare per l'attrice, Maya Sansa: "Ci ricordiamo di lei come della giovane donna solare che non arrivava a fermare la corsa verso l'abisso del giovane poliziotto in "La meglio gioventù - scrive il quotidiano francese - qui deve mascherare la sua bellezza sotto la terribile rigidità della gente che non ha mai dubbi, ma ogni volta che lascia passare un sorriso, tutta la sequenza ne é illuminata".
Molto critico invece il giudizio di Le Monde per i rimproveri mossi dalla stampa italiana al film, reo di ritrarre un'immagine compiacente di Aldo Moro.
"Tutto quello che si vede, è lo smarrimento di un uomo di fronte alla morte, espressa con un'emozione appena tinta d'ironia da Roberto Herlitzka" contesta infatti il quotidiano francese.
Molto apprezzata infine la sceneggiatura rigorosa e l'alternanza del passaggio dall'ombra alla luce, dall'immobilità carcerale al movimento.
"Buongiorno, notte" esce in Francia
la recensione del film
su "Liberation" di oggi
Liberation 4.2.04
A l'affiche A travers l'assassinat d'Aldo Moro par les Brigades rouges en 1978, Marco Bellocchio livre une réflexion sur l'engagement politique en général.
ARRIVEDERCI UTOPIE
L'actualité du film provient de ce qu'il tente de donner un visage à la figure figée du «terroriste»
par Didier PERON
Buongiorno, notte de Marco Bellocchio, avec Maya Sansa, Luigi Lo Cascio, Piergiorgio Bellocchio, Roberto Herlitzka... 1 h 45
Il est difficile de ne pas rapprocher le film de Marco Bellocchio, Buongiorno, notte, de celui de Bernardo Bertolucci, the Dreamers, tous deux présentés au festival de Venise en septembre et qui ont suscité de nombreux commentaires passionnés dans la presse transalpine. Bertolucci, né à Parme en 1940, Bellocchio, né à Piacenza en 1939, sont de la même génération, celle du «nouveau cinéma», passés par l'ultragauche, et ils ont choisi de revenir en même temps sur cette période décisive de radicalisation politique et d'utopie révolutionnaire de leurs années 70.
Il s'agit dans les deux films de huis clos, mais ce qui chez Bertolucci resurgissait sous la forme d'un trio sexuel de jeunes bourgeois livrés aux dérèglements de tous leurs sens, se fixe chez Bellocchio en tableau clinique de la violence puritaine des brigadistes rouges. 1968-1978, d'un film à l'autre, dix ans ont passé et avec eux les espoirs de fraternité et d'abolition de l'injustice de classe. La partouze a tourné vinaigre et, avec elle, la croyance dans le brassage social et les lendemains qui chantent. La jouissance n'est plus à l'ordre du jour, laissant libre voie, d'un côté, à la restauration petite-bourgeoise et, de l'autre, aux ultimes déchaînements meurtriers d'une fraction de porte-parole d'un marxisme devenu communisme mystique et désespéré.
Action d'éclat. Dans ces années-là, les brigadistes se faisaient embaucher dans les usines et tiraient au revolver dans les jambes des contremaîtres. Le soulèvement populaire qui devait conduire à la dictature du prolétariat se faisant attendre, il fallait réveiller les masses par une action d'éclat. Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, l'acrobate qui, par un grand écart dialectique époustouflant, allait parvenir à chevaucher ensemble la droite et les communistes, fut l'«homme de la situation». Les Brigades rouges, trois hommes, une femme, l'enlevèrent et lui réglèrent son compte après 55 jours de séquestration et une parodie de procès.
Buongiorno, notte n'est pas qu'une simple évocation romancée d'un épisode crucial des années de plomb en Italie. Il prend appui sur cet événement pour livrer une réflexion plus large sur l'engagement politique, les liens entre l'idéologie et l'inconscient, les affres de l'aliénation (sociale ou mentale, étroitement mêlées) et le désir de libération. L'actualité du film provient de ce qu'il tente de donner un visage à la figure figée, désormais quasi générique, du «terroriste», à restituer de la violence des groupes radicalisés non ses seuls effets bien connus (enlèvements, assassinats, attentats) mais la complexité de leur cause, l'étouffante étroitesse névrotique de leur genèse, cette soif de «justice» qui se conclut crescendo par l'irrévocable recours à de nouveaux crimes. On pense à la phrase de Conrad dans l'Agent secret sur «les sinistres pulsions qui se tapissent (..) dans toutes les nobles utopies de la juste colère, de la pitié et de la révolte».
«Plus que la religion, c'est la mentalité religieuse qui bloque tout mouvement, tout progrès», déclarait Bellocchio en 2002 à la sortie de son précédent film, le Sourire de ma mère. Cette «mentalité religieuse» apparaît dans de nombreuses séquences de Buongiorno, parce que Moro est croyant, mais aussi car les terroristes sont animés par une foi aveugle. Cette foi a son credo, son horizon universel («Le maximum de l'humanité, c'est l'annulation de la réalité subjective», tonne Mariano, l'intellectuel exalté du groupe) et ses «martyrs» de la cause rouge : tous se disent prêts à mourir pour leurs opinions. Bellocchio intercale dans le récit des images d'archives en noir et blanc fête de propagande soviétique, résistants fusillés par les fascistes, visages de femmes en pleurs...
Air irrespirable. Le personnage de Chiara, inspirée des souvenirs d'Anna Laura Braghetti, la brigadiste réelle, croise en elle le plus d'éléments contradictoires. C'est une vierge effarouchée, traumatisée par la mort de son père, résistant contre les fascistes et tué par eux, une jeune fille trop émotive qui est en train de devenir folle. Entre la dépravation morale des terroristes, obsédés par la nécessité du sacrifice, et la procession des images blafardes que vomit un poste de télévision allumé en permanence, passe en circuit fermé l'air irrespirable d'une société sans imagination ni générosité. Même si le contexte a changé, il n'est pas sûr que ce rappel d'un passé proche ne fonctionne aussi comme un état des lieux particulièrement sévère, et donc sain.
A l'affiche A travers l'assassinat d'Aldo Moro par les Brigades rouges en 1978, Marco Bellocchio livre une réflexion sur l'engagement politique en général.
ARRIVEDERCI UTOPIE
L'actualité du film provient de ce qu'il tente de donner un visage à la figure figée du «terroriste»
par Didier PERON
Buongiorno, notte de Marco Bellocchio, avec Maya Sansa, Luigi Lo Cascio, Piergiorgio Bellocchio, Roberto Herlitzka... 1 h 45
Il est difficile de ne pas rapprocher le film de Marco Bellocchio, Buongiorno, notte, de celui de Bernardo Bertolucci, the Dreamers, tous deux présentés au festival de Venise en septembre et qui ont suscité de nombreux commentaires passionnés dans la presse transalpine. Bertolucci, né à Parme en 1940, Bellocchio, né à Piacenza en 1939, sont de la même génération, celle du «nouveau cinéma», passés par l'ultragauche, et ils ont choisi de revenir en même temps sur cette période décisive de radicalisation politique et d'utopie révolutionnaire de leurs années 70.
Il s'agit dans les deux films de huis clos, mais ce qui chez Bertolucci resurgissait sous la forme d'un trio sexuel de jeunes bourgeois livrés aux dérèglements de tous leurs sens, se fixe chez Bellocchio en tableau clinique de la violence puritaine des brigadistes rouges. 1968-1978, d'un film à l'autre, dix ans ont passé et avec eux les espoirs de fraternité et d'abolition de l'injustice de classe. La partouze a tourné vinaigre et, avec elle, la croyance dans le brassage social et les lendemains qui chantent. La jouissance n'est plus à l'ordre du jour, laissant libre voie, d'un côté, à la restauration petite-bourgeoise et, de l'autre, aux ultimes déchaînements meurtriers d'une fraction de porte-parole d'un marxisme devenu communisme mystique et désespéré.
Action d'éclat. Dans ces années-là, les brigadistes se faisaient embaucher dans les usines et tiraient au revolver dans les jambes des contremaîtres. Le soulèvement populaire qui devait conduire à la dictature du prolétariat se faisant attendre, il fallait réveiller les masses par une action d'éclat. Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, l'acrobate qui, par un grand écart dialectique époustouflant, allait parvenir à chevaucher ensemble la droite et les communistes, fut l'«homme de la situation». Les Brigades rouges, trois hommes, une femme, l'enlevèrent et lui réglèrent son compte après 55 jours de séquestration et une parodie de procès.
Buongiorno, notte n'est pas qu'une simple évocation romancée d'un épisode crucial des années de plomb en Italie. Il prend appui sur cet événement pour livrer une réflexion plus large sur l'engagement politique, les liens entre l'idéologie et l'inconscient, les affres de l'aliénation (sociale ou mentale, étroitement mêlées) et le désir de libération. L'actualité du film provient de ce qu'il tente de donner un visage à la figure figée, désormais quasi générique, du «terroriste», à restituer de la violence des groupes radicalisés non ses seuls effets bien connus (enlèvements, assassinats, attentats) mais la complexité de leur cause, l'étouffante étroitesse névrotique de leur genèse, cette soif de «justice» qui se conclut crescendo par l'irrévocable recours à de nouveaux crimes. On pense à la phrase de Conrad dans l'Agent secret sur «les sinistres pulsions qui se tapissent (..) dans toutes les nobles utopies de la juste colère, de la pitié et de la révolte».
«Plus que la religion, c'est la mentalité religieuse qui bloque tout mouvement, tout progrès», déclarait Bellocchio en 2002 à la sortie de son précédent film, le Sourire de ma mère. Cette «mentalité religieuse» apparaît dans de nombreuses séquences de Buongiorno, parce que Moro est croyant, mais aussi car les terroristes sont animés par une foi aveugle. Cette foi a son credo, son horizon universel («Le maximum de l'humanité, c'est l'annulation de la réalité subjective», tonne Mariano, l'intellectuel exalté du groupe) et ses «martyrs» de la cause rouge : tous se disent prêts à mourir pour leurs opinions. Bellocchio intercale dans le récit des images d'archives en noir et blanc fête de propagande soviétique, résistants fusillés par les fascistes, visages de femmes en pleurs...
Air irrespirable. Le personnage de Chiara, inspirée des souvenirs d'Anna Laura Braghetti, la brigadiste réelle, croise en elle le plus d'éléments contradictoires. C'est une vierge effarouchée, traumatisée par la mort de son père, résistant contre les fascistes et tué par eux, une jeune fille trop émotive qui est en train de devenir folle. Entre la dépravation morale des terroristes, obsédés par la nécessité du sacrifice, et la procession des images blafardes que vomit un poste de télévision allumé en permanence, passe en circuit fermé l'air irrespirable d'une société sans imagination ni générosité. Même si le contexte a changé, il n'est pas sûr que ce rappel d'un passé proche ne fonctionne aussi comme un état des lieux particulièrement sévère, et donc sain.
"Buongiorno, notte" esce in Francia:
una intervista a Marco Bellocchio
su "Liberation" di oggi
Liberation 4.2.04
Marco Bellocchio raconte l'affaire Moro, sa signification hier et aujourd'hui:
«Cet acte a changé le visage de l'Italie»
par Catherine POIRIER Agnès
Rome correspondance. Entre la mise en scène de Rigoletto pour l'opéra de Piacenza, sa ville natale, et un projet de film avec Sergio Castellito sur le rôle de l'Eglise, Marco Bellocchio revient sur l'affaire Moro, son déroulement, son «adaptation» au cinéma et sa signification dans l'Italie d'aujourd'hui.
En 1978, quand Aldo Moro est kidnappé, vous avez 39 ans: comment avez-vous réagi?
Avec une stupeur totale. A cette époque, je ne faisais déjà plus de politique activiste. Mon militantisme a été très bref et s'est limité à l'année 1969. J'avais adhéré à l'union des marxistes-léninistes de tendance maoïste. Nous pensions alors que la révolution maoïste allait se répandre dans toute l'Europe, puis dans le monde entier. En Italie, nous attendions donc l'établissement d'une république socialiste... Après 1969, j'ai continué à avoir des sympathies de gauche, mais j'avais arrêté tout militantisme actif. En 1978, au moment de l'enlèvement de Moro, je cherchais d'autres voies, je m'intéressais par exemple à l'«analyse collective» théorisée par Massimo Fagioli. Le premier acte de la tragédie, l'enlèvement sanglant d'Aldo Moro, je l'ai vécu dans le plus grand accablement et sans la complaisance ni la satisfaction de bon ton qui régnaient alors dans les milieux d'extrême gauche.
Pouvez-vous décrire cette stupeur?
Les brigadistes plus forts que l'Etat, on n'avait jamais vu ça. Cela dit, dans les rangs de la gauche, l'exaltation des premiers jours a évolué: 55 jours, c'est long. De nombreux intellectuels de gauche ont commencé à lancer des pétitions et des appels à la libération du président. Moro devait être à tout prix épargné. Je partageais cet avis. La stupéfaction générale, et la mienne en particulier, a atteint des sommets à la nouvelle de sa mort. Nous nous réveillions et découvrions que nous n'avions, en fait, jamais rien compris à la politique. L'expérience de notre génération était qu'on peut toujours parvenir à un compromis. Jamais nous n'aurions pensé que les brigadistes ne respecteraient pas la dignité de la vie humaine. Après l'exécution de Moro, le débat politique devint intense en Italie, bouillonnant. Le verbe se portait très haut. Ce fut le début d'une époque tourmentée. Et l'assassinat de Moro sonnait la fin de la Démocratie chrétienne, au pouvoir depuis l'après-guerre, car tout à coup sa nature même de conciliateur national, de modérateur volait en éclats. L'idée que les démocrates chrétiens aient pu sacrifier la vie de Moro, leur compagnon, leur chef, était vraiment choquante. Pour les Italiens, Moro était comme un père, un membre de la famille. Pour les Français, c'est un lointain cousin. Je suis curieux de voir comment le public français va accueillir le film.
Vous montrez un Aldo Moro humaniste, touchant...
Je ne l'ai jamais rencontré. Je ne connaissais que sa personne publique. Il ne m'était pas d'une sympathie particulière, c'était un politicien chrétien, c'est tout. Cependant, la lecture des lettres qu'il a écrites à ses collègues et à sa famille lors de sa séquestration m'a donné l'occasion d'approcher l'homme de près. Ses convictions politiques, humanistes et religieuses lui donnaient une force morale qui impose le respect. Evidemment, j'ai mis dans ce personnage, vingt-cinq ans après les faits, beaucoup de ce que je suis aujourd'hui, de mon père aussi. Mon propos n'est pas d'être fidèle à tout prix au modèle. J'élabore un personnage qui a existé, en lui ajoutant mes pensées personnelles. Quand Shakespeare utilisait un personnage historique, il s'y mettait également... Mon film est d'abord une oeuvre de fiction, nécessairement infidèle. La jeune génération qui n'a pas vécu les événements le voit d'ailleurs surtout comme un conte, une histoire cruelle.
Chiara, le personnage de la jeune terroriste (joué par Maya Sansa), est imaginaire...
Il me fallait un personnage qui réagisse contre cette folie, qui symbolise cette tragédie inexorable mais aussi le conflit propre à la rhétorique brigadiste. Chiara est une enfant de la gauche, une fille de partisans antifascistes ayant combattu Mussolini. Elle seule pouvait montrer la fêlure originelle des brigadistes. Ceux-ci considéraient que la guerre de libération durant la Deuxième guerre mondiale, celle des partisans, aurait dû aboutir à l'établissement d'une république socialiste en Italie. Les brigadistes se sentaient trahis par ce processus qui ne se serait jamais achevé. Ils étaient persuadés qu'ils continuaient la lutte de leurs pères partisans. Evidemment, ces derniers étaient contre les brigadistes, auxquels ils ne reconnaissaient aucune légitimité...
Votre film donne l'impression que la Démocratie chrétienne s'est arrangée de la mort de Moro, comme si les Brigades rouges avaient fait le sale travail à sa place...
Ce ne sont que des suppositions. Deux films italiens traitant du même sujet, la Piazza delle cinque lune de Renzo Martinelli et Il Caso Moro de Giuseppe Ferrara, soutiennent des points de vue différents: la responsabilité de la CIA ou celle de Pie XII et des francs-maçons. Mon opinion, qui n'a aucune valeur historique, se concentre sur l'impuissance absolue des partis politiques et de l'Etat. Ils en vinrent même à utiliser des mages et des voyants pour retrouver Aldo Moro ! Aujourd'hui encore, nous ne connaissons pas la vérité. Les brigadistes n'ont pas tout dit.
L'exécution de Moro sonne-t-elle la fin de l'innocence italienne?
Je ne sais pas si l'Italie a jamais été innocente! Cependant, il n'y a pas de doute : la cruauté de cet acte, ressentie profondément par toute la nation, a changé le visage de l'Italie. Après Aldo Moro, plus rien n'était pareil.
Marco Bellocchio raconte l'affaire Moro, sa signification hier et aujourd'hui:
«Cet acte a changé le visage de l'Italie»
par Catherine POIRIER Agnès
Rome correspondance. Entre la mise en scène de Rigoletto pour l'opéra de Piacenza, sa ville natale, et un projet de film avec Sergio Castellito sur le rôle de l'Eglise, Marco Bellocchio revient sur l'affaire Moro, son déroulement, son «adaptation» au cinéma et sa signification dans l'Italie d'aujourd'hui.
En 1978, quand Aldo Moro est kidnappé, vous avez 39 ans: comment avez-vous réagi?
Avec une stupeur totale. A cette époque, je ne faisais déjà plus de politique activiste. Mon militantisme a été très bref et s'est limité à l'année 1969. J'avais adhéré à l'union des marxistes-léninistes de tendance maoïste. Nous pensions alors que la révolution maoïste allait se répandre dans toute l'Europe, puis dans le monde entier. En Italie, nous attendions donc l'établissement d'une république socialiste... Après 1969, j'ai continué à avoir des sympathies de gauche, mais j'avais arrêté tout militantisme actif. En 1978, au moment de l'enlèvement de Moro, je cherchais d'autres voies, je m'intéressais par exemple à l'«analyse collective» théorisée par Massimo Fagioli. Le premier acte de la tragédie, l'enlèvement sanglant d'Aldo Moro, je l'ai vécu dans le plus grand accablement et sans la complaisance ni la satisfaction de bon ton qui régnaient alors dans les milieux d'extrême gauche.
Pouvez-vous décrire cette stupeur?
Les brigadistes plus forts que l'Etat, on n'avait jamais vu ça. Cela dit, dans les rangs de la gauche, l'exaltation des premiers jours a évolué: 55 jours, c'est long. De nombreux intellectuels de gauche ont commencé à lancer des pétitions et des appels à la libération du président. Moro devait être à tout prix épargné. Je partageais cet avis. La stupéfaction générale, et la mienne en particulier, a atteint des sommets à la nouvelle de sa mort. Nous nous réveillions et découvrions que nous n'avions, en fait, jamais rien compris à la politique. L'expérience de notre génération était qu'on peut toujours parvenir à un compromis. Jamais nous n'aurions pensé que les brigadistes ne respecteraient pas la dignité de la vie humaine. Après l'exécution de Moro, le débat politique devint intense en Italie, bouillonnant. Le verbe se portait très haut. Ce fut le début d'une époque tourmentée. Et l'assassinat de Moro sonnait la fin de la Démocratie chrétienne, au pouvoir depuis l'après-guerre, car tout à coup sa nature même de conciliateur national, de modérateur volait en éclats. L'idée que les démocrates chrétiens aient pu sacrifier la vie de Moro, leur compagnon, leur chef, était vraiment choquante. Pour les Italiens, Moro était comme un père, un membre de la famille. Pour les Français, c'est un lointain cousin. Je suis curieux de voir comment le public français va accueillir le film.
Vous montrez un Aldo Moro humaniste, touchant...
Je ne l'ai jamais rencontré. Je ne connaissais que sa personne publique. Il ne m'était pas d'une sympathie particulière, c'était un politicien chrétien, c'est tout. Cependant, la lecture des lettres qu'il a écrites à ses collègues et à sa famille lors de sa séquestration m'a donné l'occasion d'approcher l'homme de près. Ses convictions politiques, humanistes et religieuses lui donnaient une force morale qui impose le respect. Evidemment, j'ai mis dans ce personnage, vingt-cinq ans après les faits, beaucoup de ce que je suis aujourd'hui, de mon père aussi. Mon propos n'est pas d'être fidèle à tout prix au modèle. J'élabore un personnage qui a existé, en lui ajoutant mes pensées personnelles. Quand Shakespeare utilisait un personnage historique, il s'y mettait également... Mon film est d'abord une oeuvre de fiction, nécessairement infidèle. La jeune génération qui n'a pas vécu les événements le voit d'ailleurs surtout comme un conte, une histoire cruelle.
Chiara, le personnage de la jeune terroriste (joué par Maya Sansa), est imaginaire...
Il me fallait un personnage qui réagisse contre cette folie, qui symbolise cette tragédie inexorable mais aussi le conflit propre à la rhétorique brigadiste. Chiara est une enfant de la gauche, une fille de partisans antifascistes ayant combattu Mussolini. Elle seule pouvait montrer la fêlure originelle des brigadistes. Ceux-ci considéraient que la guerre de libération durant la Deuxième guerre mondiale, celle des partisans, aurait dû aboutir à l'établissement d'une république socialiste en Italie. Les brigadistes se sentaient trahis par ce processus qui ne se serait jamais achevé. Ils étaient persuadés qu'ils continuaient la lutte de leurs pères partisans. Evidemment, ces derniers étaient contre les brigadistes, auxquels ils ne reconnaissaient aucune légitimité...
Votre film donne l'impression que la Démocratie chrétienne s'est arrangée de la mort de Moro, comme si les Brigades rouges avaient fait le sale travail à sa place...
Ce ne sont que des suppositions. Deux films italiens traitant du même sujet, la Piazza delle cinque lune de Renzo Martinelli et Il Caso Moro de Giuseppe Ferrara, soutiennent des points de vue différents: la responsabilité de la CIA ou celle de Pie XII et des francs-maçons. Mon opinion, qui n'a aucune valeur historique, se concentre sur l'impuissance absolue des partis politiques et de l'Etat. Ils en vinrent même à utiliser des mages et des voyants pour retrouver Aldo Moro ! Aujourd'hui encore, nous ne connaissons pas la vérité. Les brigadistes n'ont pas tout dit.
L'exécution de Moro sonne-t-elle la fin de l'innocence italienne?
Je ne sais pas si l'Italie a jamais été innocente! Cependant, il n'y a pas de doute : la cruauté de cet acte, ressentie profondément par toute la nation, a changé le visage de l'Italie. Après Aldo Moro, plus rien n'était pareil.
un libro
ricevo da Paolo Izzo
Maurensig indaga i sogni
di DARIO OLIVERO
estratto da un più lungo articolo di Repubblica.it
Il nuovo libro di Paolo Maurensig si intitola Il guardiano dei sogni (Mondadori, 16 euro). Un uomo viene ricoverato in ospedale in fin di vita. Si riprende e fa conoscenza con un misterioso compagno di stanza dai tratti slavi che gli ricorda Tolstoj. Quest'uomo mostra di avere una dote straordinaria: la facoltà di vedere i sogni che sognano gli altri. L'uomo racconta al protagonista come ha ottenuto questo dono e poi viene dimesso. E qui incomincia la seconda parte della vita del protagonista: la ricerca di quell'uomo. Ecco un passaggio: "Shakespeare dice che siamo fatti della stessa sostanza dei sogni, ma, in realtà, la traduzione 'sostanza' non è esatta, perché dovremmo dire trama, tessuto. E' qualcosa che ci riveste. A volte mi capita di vedere, in certi momenti al calar del sole, in quella luce ideale tanto apprezzata dai pittori, questi strani abbigliamenti che ciascuno di noi indossa inconsapevolmente. Alcuni sono grigi, dimessi, e si trascinano come ombre; altri sono colorati, vistosi, e salgono verso l'alto; a volte stanno sopra la testa come bizzarri copricapi orientali, a volte sospesi in aria come palloncini o piccole mongolfiere iridescenti".
Maurensig indaga i sogni
di DARIO OLIVERO
estratto da un più lungo articolo di Repubblica.it
Il nuovo libro di Paolo Maurensig si intitola Il guardiano dei sogni (Mondadori, 16 euro). Un uomo viene ricoverato in ospedale in fin di vita. Si riprende e fa conoscenza con un misterioso compagno di stanza dai tratti slavi che gli ricorda Tolstoj. Quest'uomo mostra di avere una dote straordinaria: la facoltà di vedere i sogni che sognano gli altri. L'uomo racconta al protagonista come ha ottenuto questo dono e poi viene dimesso. E qui incomincia la seconda parte della vita del protagonista: la ricerca di quell'uomo. Ecco un passaggio: "Shakespeare dice che siamo fatti della stessa sostanza dei sogni, ma, in realtà, la traduzione 'sostanza' non è esatta, perché dovremmo dire trama, tessuto. E' qualcosa che ci riveste. A volte mi capita di vedere, in certi momenti al calar del sole, in quella luce ideale tanto apprezzata dai pittori, questi strani abbigliamenti che ciascuno di noi indossa inconsapevolmente. Alcuni sono grigi, dimessi, e si trascinano come ombre; altri sono colorati, vistosi, e salgono verso l'alto; a volte stanno sopra la testa come bizzarri copricapi orientali, a volte sospesi in aria come palloncini o piccole mongolfiere iridescenti".
Contraccettivi di nuova generazione
Le Scienze 3.2.04
Contraccettivi di nuova generazione
Alcuni ricercatori sono già al lavoro
Secondo una ricerca, resa pubblica dall'Istituto di Medicina degli Stati Uniti, un catalogo dei geni e delle proteine che si trovano negli spermatozoi e nelle cellule uovo potrebbe contribuire alla creazione della prossima generazione di contraccettivi. Lo studio suggerisce agli scienziati e alle industrie farmaceutiche i passi da intraprendere per ampliare la gamma di scelte in materia di contraccezione e per renderle più efficaci.
Si ritiene che almeno un quarto delle gravidanze nelle donne fra i 15 e i 45 anni non siano state pianificate. E nonostante il 60-70 per cento delle coppie nei paesi sviluppati utilizzi una forma efficace di contraccezione, molte persone le abbandonano entro un anno a causa degli effetti collaterali o della scomodità, pur se una pianificazione efficace delle nascite non solo aiuta il controllo demografico, ma ha effetti benefici sull'economia e la salute di una comunità.
Una miglior educazione potrebbe portare a evitare gran parte delle gravidanze indesiderate. Ma secondo Jerome Strauss dell'Università della Pennsylvania, che ha diretto lo studio, c'è anche bisogno di una maggior varietà di contraccettivi. Un passo verso trattamenti più efficaci e specializzati sarebbe quello di creare una lista comprensiva dei geni, delle proteine, dei grassi e degli zuccheri che si trovano solo negli spermatozoi o nelle uova, in modo da usarli come possibili target di farmaci. La pillola contraccettiva orale, al contrario, contiene basse dosi di ormoni che hanno effetto sull'intero corpo.
Alcuni ricercatori sono già all'opera: un team guidato da John Herr dell'Università della Virginia di Charlottesville ha compilato un'enciclopedia di proteine delle uova e degli spermatozoi, molte delle quali potrebbero essere il bersaglio ideale di futuri farmaci.
S. J. Nass, F. J. Strauss (a cura di), New Frontiers in Contraceptive Research: A Blueprint for Action, Institute of Medicine of the National Academies, (National Academy Press, marzo 2004).
© 1999 - 2003 Le Scienze S.p.A.
Contraccettivi di nuova generazione
Alcuni ricercatori sono già al lavoro
Secondo una ricerca, resa pubblica dall'Istituto di Medicina degli Stati Uniti, un catalogo dei geni e delle proteine che si trovano negli spermatozoi e nelle cellule uovo potrebbe contribuire alla creazione della prossima generazione di contraccettivi. Lo studio suggerisce agli scienziati e alle industrie farmaceutiche i passi da intraprendere per ampliare la gamma di scelte in materia di contraccezione e per renderle più efficaci.
Si ritiene che almeno un quarto delle gravidanze nelle donne fra i 15 e i 45 anni non siano state pianificate. E nonostante il 60-70 per cento delle coppie nei paesi sviluppati utilizzi una forma efficace di contraccezione, molte persone le abbandonano entro un anno a causa degli effetti collaterali o della scomodità, pur se una pianificazione efficace delle nascite non solo aiuta il controllo demografico, ma ha effetti benefici sull'economia e la salute di una comunità.
Una miglior educazione potrebbe portare a evitare gran parte delle gravidanze indesiderate. Ma secondo Jerome Strauss dell'Università della Pennsylvania, che ha diretto lo studio, c'è anche bisogno di una maggior varietà di contraccettivi. Un passo verso trattamenti più efficaci e specializzati sarebbe quello di creare una lista comprensiva dei geni, delle proteine, dei grassi e degli zuccheri che si trovano solo negli spermatozoi o nelle uova, in modo da usarli come possibili target di farmaci. La pillola contraccettiva orale, al contrario, contiene basse dosi di ormoni che hanno effetto sull'intero corpo.
Alcuni ricercatori sono già all'opera: un team guidato da John Herr dell'Università della Virginia di Charlottesville ha compilato un'enciclopedia di proteine delle uova e degli spermatozoi, molte delle quali potrebbero essere il bersaglio ideale di futuri farmaci.
S. J. Nass, F. J. Strauss (a cura di), New Frontiers in Contraceptive Research: A Blueprint for Action, Institute of Medicine of the National Academies, (National Academy Press, marzo 2004).
© 1999 - 2003 Le Scienze S.p.A.
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