venerdì 6 febbraio 2004

la recensione del Nouvel Observateur
per l'uscita del film di Marco Bellocchio in Francia
e Maya Sansa

Le Nouvel Observateur
Cinéma
La critique de Pascal Mérigeau
L’histoire en question

Buongiorno, notte, film italien de Marco Bellocchio, avec Maya Sansa, Luigi Lo Cascio, Roberto Herlitzka


On ne sait s’il faut saluer la renaissance déjà souvent annoncée du cinéma italien, mais il ne fait pas de doute qu’un des représentants «historiques» les plus doués de la génération des années 1960 est de retour. «Buongiorno, notte» confirme en effet la bonne nouvelle apportée par «le Sourire de ma mère» (L'ora di religione): Marco Bellocchio en a terminé avec une mauvaise passe de plusieurs années, éclairée par quelques films intéressants, mais en dessous de son talent et de sa réputation. Ce retour est d’autant plus éclatant et appréciable qu’il s’effectue grâce à deux films extrêmement ambitieux, assez peu dans l’air du temps, donc hors mode et hors norme, dont le projet pouvait sembler a priori très périlleux. Ainsi «Buongiorno, notte», évocation de l’enlèvement, de la séquestration et de l’assassinat d’Aldo Moro par un commando des Brigades rouges. Sujet très italien, dira-t-on peut-être, et on aura raison en ce sens que le traumatisme suscité par l’affaire en Italie est difficile à apprécier de ce côté-ci des Alpes. Mais en même temps on aura tort pourtant, car le film ne relève pas de la simple reconstitution télévisuelle (qu’il ait été produit par la RAI ne change rien à l’affaire), il est œuvre de créateur, d’artiste qui s’interroge sur son temps et sur le monde en utilisant tous les moyens dont il dispose. «Buongiorno, notte» est donc une œuvre de fiction, qui, comme toute œuvre de fiction digne d’intérêt, part du réel et s’en éloigne pour mieux y revenir et en rendre compte. Ainsi l’utilisation d’images puisées dans les archives télévisuelles (le traitement officiel de l’affaire en 1978) et cinématographiques (le façonnement des mentalités par les films soviétiques et italiens) permet-elle à Bellocchio à la fois de donner à suivre l’affaire telle que l’histoire en a conservé la mémoire et de reconstituer le terreau dans lequel s’est épanoui le terrorisme d’alors. Ces deux sources irriguent le film et le nourrissent, offrant au cinéaste de se dégager du carcan de la réalité des faits pour tenter de trouver une vérité plus profonde, plus humaine. C’est en virtuose que Bellocchio multiplie les angles d’approche, dessinant le portrait d’une génération à travers celui d’un groupe de jeunes paumés et, plus particulièrement, d’une jeune femme qui fait montre de suffisamment de recul pour que l’absurdité criminelle de l’action à laquelle elle s’associe lui apparaisse, de trop peu pour qu’elle choisisse de tout arrêter. Que cela s’arrête sans qu’elle y soit pour rien, voilà ce que souhaite confusément la Chiara de «Buongiorno, notte» quand confrontée à la solitude et à la dignité d’un otage que sa mort possible, puis probable, puis certaine effraie seulement en ce qu’elle priverait son petit-fils de son grand-père. Ils voulaient tuer leur père, ils ontassassiné le grand-père d’un autre, sans que cela change rien à rien. La résolution, les doutes, les hésitations et les rêves de Chiara portent le film et répondent auxespérances folles, aux débordementset aux déceptions qui ont fait du xxe siècle ce qu’il a été. L’individu pris dans une histoire dont il se rêve le metteur en scène, dont il se croit l’acteur et dont il n’estque le pantin, sans que pourtant il perde tout à fait son humanité, sans que sa détresse cesse jamais d’émouvoir. Sujet magnifique, pleinement adulte, défi relevé avec éclat par un cinéaste revenu de loin. Du grand art.
[...] De la belle ouvrage.

Maya la rouge
Maya Sansa

Jeune terroriste des Brigades rouges visitée par le doute dans le dernier Bellocchio, Maya Sansa a investi corps et âme un personnage et un film particulièrement risqués. Rencontre avec la première révélation de l’année.
"Buongiorno notte", de Marco Bellocchio


Au-delà du réel
«Même s’il s’inspire d’un épisode essentiel de l’histoire italienne, "Buongiorno notte" relève plus de la philosophie que de la politique. Pour moi, il va au-delà des classifications traditionnelles. Ici, la réalité n’est qu’un prétexte pour atteindre l’universel, et la vision du terrorisme embrasse toutes les sortes de fanatismes. Aldo Moro y est montré comme le symbole de l’innocence sacrifiée au nom d’un idéal. Quant à mon personnage, il représente l’étincelle d’humanité qui habite chacun d’entre nous, aussi monstrueux soit-il.»
Dans la peau d’une terroriste
«J’avais 2ans lorsque Aldo Moro a été kidnappé, et j’ai compensé mon manque de souvenirs personnels
en m’immergeant dans la documentation de l’époque. En interrogeant mon entourage et en épluchant des tonnes de livres, j’ai pu me faire une idée de ce que l’Italie avait pu éprouver en 1978 pendant les cinquante-cinq jours qu’a duré cette prise d’otage: un effroyable sentiment d’agonie collective. Ensuite, j’ai effectué un travail d’identification en me reposant sur la femme, l’actrice et la jeune citoyenne que je suis. J’ai pensé à mes propres frustrations d’adolescente quand je voulais changer le monde, et
j’ai énormément travaillé sur le fait que la terroriste que j’incarne mette en doute son propre extrémisme. Enfin, j’ai compris que si les Brigades rouges ont assassiné Moro, c’est parce qu’ils ont réalisé que le peuple, pour le bien duquel ils croyaient se battre, n’était pas de leur côté.»
Marco Bellocchio
«Je lui dois tout. C’est lui qui m’a offert mon premier rôle dans "la Nourrice". C’est un maître qui a l’intelligence d’écouter les idées des autres, et je ne rêve aujourd’hui que d’une chose: être dirigée par lui dans une pièce de théâtre.»