venerdì 6 febbraio 2004

un'altra recensione

FLUCTUAT.NET
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La vie me fait peur
par Manuel Merlet


Buongiorno, notte - Marco Bellocchio Italie / 2003 / 1h45


Retour sur l'enlèvement suivi d'assassinat de Aldo Moro, un drame qui a bouleversé l'Italie en 1978. D'un côté à l'autre des Alpes, le film ne sera pas perçu ni compris de la même manière. Néanmoins le regard de Marco Bellocchio a su se déplacer de l'historique pour parler de l'individuel et ainsi poser, à travers ce titre en forme de contradiction, l'éternelle question du comment être au monde quand celui-ci vous révulse.
Le 16 mars 1978, Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, a été enlevé par les Brigades rouges. Cinquante cinq jours plus tard, ils l'exécutèrent et déposèrent son corps dans Rome. Ce drame bouleversa l'Italie. Il en marqua profondément et durablement la vie politique et civile. L'idée d'un film sur cet événement n'est pas née de l'esprit de Marco Bellocchio mais chez quelque décideur de la RAI-cinéma. Opportunisme de marchands sans scrupule, en des temps sombres, témoins à nouveau, depuis mai 1999, des crimes de ceux qui se qualifient de "Parti communiste combattant"? Peut-être. Néanmoins il ne faudrait pas s'arrêter à ce premier jugement. Bellochio est un homme suffisamment libre pour qu'il soit difficile de le qualifier de mercantile. Non, sa démarche est celle d'un artiste. Affranchi de l'historicité, il porte un regard original, à hauteur d'homme, sensible à l'expérience individuelle, à l'intériorité et aux fantasmes.
Le film trouve sa force, sa pugnacité dans cet écartement du réel. Il est avant tout prétexte à la rencontre de deux êtres, Aldo Moro et Chiara, une jeune femme faisant partie des ravisseurs. Le premier ne verra jamais la seconde, et elle ne lui parlera pas. Mais elle, ses choix, ses certitudes n'en seront pas moins bouleversés par sa présence, quasi fantomatique. Au contact de cet homme enfermé dans une cellule dissimulée derrière une fausse bibliothèque, dans un appartement anonyme de la capitale, elle voit ressurgir ses peurs. Au travers de ses gestes et ses rêves, de plus en plus contaminants au fur et à mesure qu'avance le récit, apparaît son ambivalence face à la normalité.
Chiara et ses trois complices refusent de participer à une existence qu'ils perçoivent comme bourgeoise et servile. Ils prônent des slogans révolutionnaires et revendiquent une lutte violente contre le capitalisme. Mais leur position est pleine de contradictions. Ces quatre-là sont bien ridicules dans ce logement qui leur sert de cache et d'où ils enregistrent des messages à la virulence inquiétante. Ils y reproduisent, par le train-train, cette vie monotone à laquelle ils prétendent échapper. Assis devant une télévision omniprésente, dont ils chantonnent les génériques sans s'en apercevoir, ils attendent. Quoi ? La mort d'un système. Leurs comportements et leurs propos seraient presque comiques dans leur pauvreté s'ils ne débouchaient sur le crime et l'assassinat. Ils agissent dans un enfantillage meurtrier. En fait, ils sont les vrais prisonniers de cette histoire, enfermés dans leurs idées comme dans leur « trois pièces-cuisine ». Ils ne considèrent pas leur condition, aveuglés par l'agressivité, la paranoïa et l'auto-conviction. Seule Chiara sent montée en elle un trouble.
Dans ses songes se mêlent l'utopie socialiste et l'horreur stalinienne. Elle voit bien les autres femmes qui, elles, ont accepté leur maternité, quitte à y perdre quelque chose. Elle est troublée par ses parents qui, lors d'une réunion familiale bien arrosée, entonnent le chant du partisan. Elle constate que la pensée prolétaire peut se concilier avec le quotidien de l'ouvrier. Ce qu'elle ne parvient pas à accomplir. Ou à comprendre. Il lui semble impossible de se fondre dans la normalité, le commun. Il est vrai que celle-ci, incarnée en des visages grotesques de cléricaux et de politiques, est fort effrayante et repoussante. Mais elle devine, plus qu'elle ne sait, que le meurtre n'est pas une issue à cette situation. Comme le lui rappelle un collègue, personnage improbable qui paraît être une émanation de son inconscient, elle s'asphyxie dans la contradiction.
On connaît la méfiance de Marco Bellochio pour ces instances de coercition que sont la famille, la religion et le politique. "Le Sourire de ma mère", son précédent film, montrait déjà, et ce n'était pas nouveau, toute l'horreur qu'ils lui inspirent. Mais si hier, il montrait un homme qui se libérait au prix d'une certaine solitude, aujourd'hui, il laisse cette jeune femme dans une impasse. La seule issue qu'il suggère est une solution fantasmatique, réécriture de l'Histoire, montrant Aldo Moro échappé de sa cellule, rescapé d'entre les morts se promenant en pyjama dans les rues de Rome. Autrement dit, il ne propose rien de viable. Le handicap de Chiara semble sans remède. Pourquoi? Peut-être parce qu'elle s'est tournée vers la morbidité et non vers le chemin de la création. On reste en tout cas sur un goût amer. Cette amertume est d'autant plus pénible que Bellocchio parvient, en une ultime image d'archives, à nous communiquer de l'écœurement, celui qui envahit toute personne censée au spectacle de l'hommage rendu à Aldo Moro, tableau aux faces bouffies et hypocrites, crispées dans l'apitoiement et la peur.