Liberation 4.2.04
Marco Bellocchio raconte l'affaire Moro, sa signification hier et aujourd'hui:
«Cet acte a changé le visage de l'Italie»
par Catherine POIRIER Agnès
Rome correspondance. Entre la mise en scène de Rigoletto pour l'opéra de Piacenza, sa ville natale, et un projet de film avec Sergio Castellito sur le rôle de l'Eglise, Marco Bellocchio revient sur l'affaire Moro, son déroulement, son «adaptation» au cinéma et sa signification dans l'Italie d'aujourd'hui.
En 1978, quand Aldo Moro est kidnappé, vous avez 39 ans: comment avez-vous réagi?
Avec une stupeur totale. A cette époque, je ne faisais déjà plus de politique activiste. Mon militantisme a été très bref et s'est limité à l'année 1969. J'avais adhéré à l'union des marxistes-léninistes de tendance maoïste. Nous pensions alors que la révolution maoïste allait se répandre dans toute l'Europe, puis dans le monde entier. En Italie, nous attendions donc l'établissement d'une république socialiste... Après 1969, j'ai continué à avoir des sympathies de gauche, mais j'avais arrêté tout militantisme actif. En 1978, au moment de l'enlèvement de Moro, je cherchais d'autres voies, je m'intéressais par exemple à l'«analyse collective» théorisée par Massimo Fagioli. Le premier acte de la tragédie, l'enlèvement sanglant d'Aldo Moro, je l'ai vécu dans le plus grand accablement et sans la complaisance ni la satisfaction de bon ton qui régnaient alors dans les milieux d'extrême gauche.
Pouvez-vous décrire cette stupeur?
Les brigadistes plus forts que l'Etat, on n'avait jamais vu ça. Cela dit, dans les rangs de la gauche, l'exaltation des premiers jours a évolué: 55 jours, c'est long. De nombreux intellectuels de gauche ont commencé à lancer des pétitions et des appels à la libération du président. Moro devait être à tout prix épargné. Je partageais cet avis. La stupéfaction générale, et la mienne en particulier, a atteint des sommets à la nouvelle de sa mort. Nous nous réveillions et découvrions que nous n'avions, en fait, jamais rien compris à la politique. L'expérience de notre génération était qu'on peut toujours parvenir à un compromis. Jamais nous n'aurions pensé que les brigadistes ne respecteraient pas la dignité de la vie humaine. Après l'exécution de Moro, le débat politique devint intense en Italie, bouillonnant. Le verbe se portait très haut. Ce fut le début d'une époque tourmentée. Et l'assassinat de Moro sonnait la fin de la Démocratie chrétienne, au pouvoir depuis l'après-guerre, car tout à coup sa nature même de conciliateur national, de modérateur volait en éclats. L'idée que les démocrates chrétiens aient pu sacrifier la vie de Moro, leur compagnon, leur chef, était vraiment choquante. Pour les Italiens, Moro était comme un père, un membre de la famille. Pour les Français, c'est un lointain cousin. Je suis curieux de voir comment le public français va accueillir le film.
Vous montrez un Aldo Moro humaniste, touchant...
Je ne l'ai jamais rencontré. Je ne connaissais que sa personne publique. Il ne m'était pas d'une sympathie particulière, c'était un politicien chrétien, c'est tout. Cependant, la lecture des lettres qu'il a écrites à ses collègues et à sa famille lors de sa séquestration m'a donné l'occasion d'approcher l'homme de près. Ses convictions politiques, humanistes et religieuses lui donnaient une force morale qui impose le respect. Evidemment, j'ai mis dans ce personnage, vingt-cinq ans après les faits, beaucoup de ce que je suis aujourd'hui, de mon père aussi. Mon propos n'est pas d'être fidèle à tout prix au modèle. J'élabore un personnage qui a existé, en lui ajoutant mes pensées personnelles. Quand Shakespeare utilisait un personnage historique, il s'y mettait également... Mon film est d'abord une oeuvre de fiction, nécessairement infidèle. La jeune génération qui n'a pas vécu les événements le voit d'ailleurs surtout comme un conte, une histoire cruelle.
Chiara, le personnage de la jeune terroriste (joué par Maya Sansa), est imaginaire...
Il me fallait un personnage qui réagisse contre cette folie, qui symbolise cette tragédie inexorable mais aussi le conflit propre à la rhétorique brigadiste. Chiara est une enfant de la gauche, une fille de partisans antifascistes ayant combattu Mussolini. Elle seule pouvait montrer la fêlure originelle des brigadistes. Ceux-ci considéraient que la guerre de libération durant la Deuxième guerre mondiale, celle des partisans, aurait dû aboutir à l'établissement d'une république socialiste en Italie. Les brigadistes se sentaient trahis par ce processus qui ne se serait jamais achevé. Ils étaient persuadés qu'ils continuaient la lutte de leurs pères partisans. Evidemment, ces derniers étaient contre les brigadistes, auxquels ils ne reconnaissaient aucune légitimité...
Votre film donne l'impression que la Démocratie chrétienne s'est arrangée de la mort de Moro, comme si les Brigades rouges avaient fait le sale travail à sa place...
Ce ne sont que des suppositions. Deux films italiens traitant du même sujet, la Piazza delle cinque lune de Renzo Martinelli et Il Caso Moro de Giuseppe Ferrara, soutiennent des points de vue différents: la responsabilité de la CIA ou celle de Pie XII et des francs-maçons. Mon opinion, qui n'a aucune valeur historique, se concentre sur l'impuissance absolue des partis politiques et de l'Etat. Ils en vinrent même à utiliser des mages et des voyants pour retrouver Aldo Moro ! Aujourd'hui encore, nous ne connaissons pas la vérité. Les brigadistes n'ont pas tout dit.
L'exécution de Moro sonne-t-elle la fin de l'innocence italienne?
Je ne sais pas si l'Italie a jamais été innocente! Cependant, il n'y a pas de doute : la cruauté de cet acte, ressentie profondément par toute la nation, a changé le visage de l'Italie. Après Aldo Moro, plus rien n'était pareil.
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