mercoledì 4 febbraio 2004

"Buongiorno, notte" esce in Francia
la recensione del film
su "Liberation" di oggi

Liberation 4.2.04
A l'affiche A travers l'assassinat d'Aldo Moro par les Brigades rouges en 1978, Marco Bellocchio livre une réflexion sur l'engagement politique en général.
ARRIVEDERCI UTOPIE
L'actualité du film provient de ce qu'il tente de donner un visage à la figure figée du «terroriste»
par Didier PERON


Buongiorno, notte de Marco Bellocchio, avec Maya Sansa, Luigi Lo Cascio, Piergiorgio Bellocchio, Roberto Herlitzka... 1 h 45


Il est difficile de ne pas rapprocher le film de Marco Bellocchio, Buongiorno, notte, de celui de Bernardo Bertolucci, the Dreamers, tous deux présentés au festival de Venise en septembre et qui ont suscité de nombreux commentaires passionnés dans la presse transalpine. Bertolucci, né à Parme en 1940, Bellocchio, né à Piacenza en 1939, sont de la même génération, celle du «nouveau cinéma», passés par l'ultragauche, et ils ont choisi de revenir en même temps sur cette période décisive de radicalisation politique et d'utopie révolutionnaire de leurs années 70.

Il s'agit dans les deux films de huis clos, mais ce qui chez Bertolucci resurgissait sous la forme d'un trio sexuel de jeunes bourgeois livrés aux dérèglements de tous leurs sens, se fixe chez Bellocchio en tableau clinique de la violence puritaine des brigadistes rouges. 1968-1978, d'un film à l'autre, dix ans ont passé et avec eux les espoirs de fraternité et d'abolition de l'injustice de classe. La partouze a tourné vinaigre et, avec elle, la croyance dans le brassage social et les lendemains qui chantent. La jouissance n'est plus à l'ordre du jour, laissant libre voie, d'un côté, à la restauration petite-bourgeoise et, de l'autre, aux ultimes déchaînements meurtriers d'une fraction de porte-parole d'un marxisme devenu communisme mystique et désespéré.

Action d'éclat. Dans ces années-là, les brigadistes se faisaient embaucher dans les usines et tiraient au revolver dans les jambes des contremaîtres. Le soulèvement populaire qui devait conduire à la dictature du prolétariat se faisant attendre, il fallait réveiller les masses par une action d'éclat. Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, l'acrobate qui, par un grand écart dialectique époustouflant, allait parvenir à chevaucher ensemble la droite et les communistes, fut l'«homme de la situation». Les Brigades rouges, trois hommes, une femme, l'enlevèrent et lui réglèrent son compte après 55 jours de séquestration et une parodie de procès.

Buongiorno, notte n'est pas qu'une simple évocation romancée d'un épisode crucial des années de plomb en Italie. Il prend appui sur cet événement pour livrer une réflexion plus large sur l'engagement politique, les liens entre l'idéologie et l'inconscient, les affres de l'aliénation (sociale ou mentale, étroitement mêlées) et le désir de libération. L'actualité du film provient de ce qu'il tente de donner un visage à la figure figée, désormais quasi générique, du «terroriste», à restituer de la violence des groupes radicalisés non ses seuls effets bien connus (enlèvements, assassinats, attentats) mais la complexité de leur cause, l'étouffante étroitesse névrotique de leur genèse, cette soif de «justice» qui se conclut crescendo par l'irrévocable recours à de nouveaux crimes. On pense à la phrase de Conrad dans l'Agent secret sur «les sinistres pulsions qui se tapissent (..) dans toutes les nobles utopies de la juste colère, de la pitié et de la révolte».

«Plus que la religion, c'est la mentalité religieuse qui bloque tout mouvement, tout progrès», déclarait Bellocchio en 2002 à la sortie de son précédent film, le Sourire de ma mère. Cette «mentalité religieuse» apparaît dans de nombreuses séquences de Buongiorno, parce que Moro est croyant, mais aussi car les terroristes sont animés par une foi aveugle. Cette foi a son credo, son horizon universel («Le maximum de l'humanité, c'est l'annulation de la réalité subjective», tonne Mariano, l'intellectuel exalté du groupe) et ses «martyrs» de la cause rouge : tous se disent prêts à mourir pour leurs opinions. Bellocchio intercale dans le récit des images d'archives en noir et blanc ­ fête de propagande soviétique, résistants fusillés par les fascistes, visages de femmes en pleurs...

Air irrespirable. Le personnage de Chiara, inspirée des souvenirs d'Anna Laura Braghetti, la brigadiste réelle, croise en elle le plus d'éléments contradictoires. C'est une vierge effarouchée, traumatisée par la mort de son père, résistant contre les fascistes et tué par eux, une jeune fille trop émotive qui est en train de devenir folle. Entre la dépravation morale des terroristes, obsédés par la nécessité du sacrifice, et la procession des images blafardes que vomit un poste de télévision allumé en permanence, passe en circuit fermé l'air irrespirable d'une société sans imagination ni générosité. Même si le contexte a changé, il n'est pas sûr que ce rappel d'un passé proche ne fonctionne aussi comme un état des lieux particulièrement sévère, et donc sain.