mercoledì 4 febbraio 2004

"Buongiorno, notte" esce in Francia:
un'intervista su "L'Humanité"

L'Humanité 4.2.04
Cinéma.
Ne pas raconter l'histoire dans son inéluctabilité"
L'enlèvement, la séquestration et l'assassinat d'Aldo Moro en 1978 sont au centre du nouveau film de Marco Bellocchio, Notte.
Entretien réalisé par Jean Roy


En plus de vingt films, Marco Bellocchio a labouré un vaste territoire, des films engagés des débuts jusqu'aux deux derniers qui mettent en scène les deux piliers de la société italienne, l'Église et l'État, en passant par d'autres où l'auteur s'expose au regard psychanalytique. Rencontre.

Qu'est-ce qui vous a intéressé dans l'affaire Aldo Moro?

Marco Bellocchio. L'intérêt est né après que le producteur m'a proposé de faire le film. C'était la 01, qui est la filiale cinéma de la RAI. J'ai été étonné qu'on ait pensé à moi. Ils pensaient que j'étais peut-être très engagé dans la politique à ce moment. Les années 1978-1979 sont celles dans lesquelles le terrorisme a multiplié les sigles. Il y a eu les Brigades rouges, nées officiellement en 1970, et d'autres mouvements avec leurs formes légales et extra légales. 1978 est l'année au cours de laquelle les Brigades rouges ont lancé leur campagne de printemps, avec l'idée d'enlever Aldo Moro, ce qu'ils ont fait le 16 mars. En fait, je n'étais plus alors dans la politique et je regardais tout cela comme un citoyen normal. J'ai lu, je me suis documenté, mais il me fallait trouver une idée cinématographique. Je voulais bien faire un film sur l'enlèvement mais simultanément qui corresponde à ma nature. Je ne souhaitais pas raconter l'histoire dans son caractère tragique immobile, dans son inéluctabilité comme la Passion du Christ ou un mystère religieux, du type le Christ doit mourir pour le salut de l'humanité et Aldo Moro pour le statut de l'Italie. Cette idée ne m'intéressait pas assez. Ce n'était pas suffisant. J'ai lu le journal d'Anna Laura Braghetti et là j'ai trouvé l'idée d'un film plus personnel, plus fidèle à mes convictions.

Pourquoi avez-vous trahi la vérité historique, en particulier en ajoutant ou transformant des personnages?

Marco Bellocchio. J'ai senti la nécessité de l'infidélité. Je ne voulais pas faire un film historico-politique. C'est la liberté que prend l'auteur d'avoir un regard suggestif, interprétatif, même s'il y a respect des faits de base. Moro ne peut pas être libéré. Il est clair qu'au niveau de l'interprétation artistique, j'ai voulu user de l'infidélité pour rejoindre la fidélité, atteindre à la conclusion historique mais imaginer une histoire différente. La liberté de Moro n'est pas une fantaisie, une bizarrerie. C'est la possibilité de parler de la situation actuelle, au moins en Italie où l'on vit actuellement dans un grand conformisme, désespéré d'un point de vue politique. Il me semblait que cette image de liberté ferait contraste alors qu'il n'y a pas de raison d'être optimiste.

Les changements portent surtout sur Chiara, à travers laquelle tout est vu.

Marco Bellocchio. Au fond, oui. Il y a une grande différence si nous confrontons le film et le journal d'Anna Laura Braghetti. Il y a dans le journal des pensées, des réflexions, même de l'angoisse : " J'espérais que. ", " Mes pensées étaient opposées à ", mais jamais une action qui s'oppose aux ordres du chef. Il y a des motifs de contrariété mais elle les étouffe. Dans le film, ces réflexions deviennent action. Elle fait des choses, refuse, prend des risques. Je dirais que c'est un schéma artistique. En Italie, on est content quand il y a un point de vue, qu'on sait de quel côté on est, la thèse quoi. C'est une politisation de la pensée. L'action, c'est le cinéma, pas l'action dans le sens américain, mais comme dynamique nécessaire.

Comment a-t-on réagi en Italie où le détail de l'enlèvement de Moro reste vivace?

Marco Bellocchio. J'avais sous-évalué la mémoire. Après vingt-cinq ans, l'affaire Moro a toujours un impact énorme qui suscite conflit, rage. J'ai été attaqué par des politiques qui étaient pour la ligne de fermeté qui a conduit à l'assassinat de Moro. D'autres m'ont félicité pour des raisons de même nature. Qui est derrière les brigadistes, les communistes, la démocratie chrétienne sont des questions qui font encore débat, même si c'est un peu masturbatoire. Il y a des gens qui aiment passer leur temps à savoir qui est le grand marionnettiste. Pour autant, je n'accepte pas l'idée qu'un si petit groupe de brigadistes soit parvenu à maintenir l'Italie en haleine pendant si longtemps.

Avez-vous tenu à une sorte de ressemblance physique entre les comédiens et les personnages?

Marco Bellocchio. En ce qui concerne Germano Maccari, l'assassin de Moro joué par mon fils, je n'avais aucune image de sa jeunesse. Morucci a un visage connu mais je n'avais pas de problème de vraisemblance. Le seul problème était le visage d'Aldo Moro, qui avait une expression très orientale du Sud méditerranéen. Pendant un certain temps, j'ai songé à ne même pas le représenter, juste faire sentir sa présence. Petit à petit, je lui ai donné plus d'espace et il est devenu plus présent. C'est le jeu du comédien Roberto Herlitzka, qui l'incarne, qui m'a fait comprendre qu'on pouvait le montrer davantage sans tomber dans une incarnation à l'Actors Studio. Quand Gian Maria Volontè, qui est par ailleurs un immense acteur, interprète Moro dans le film "Il Caso Moro" de Giuseppe Ferrara, en 1986, il cherche à imiter jusqu'à la voix de Moro, son accent méridional d'homme des Pouilles. Il a étudié le personnage. Nous sommes dans la tradition italienne du cinéma politique où tous les comédiens travaillent la ressemblance externe. Ce n'était pas le but ici.

Voyez-vous une continuité entre ce film et vos films précédents?

Marco Bellocchio. S'il y a une continuité, elle est plus de style et d'image que de thématique. Il y a un rapprochement évident si l'on compare avec le Sourire de ma mère avec la séparation de la mère dans le premier et la séparation du père ici. Il y a des convictions religieuses dans l'autre et ici des convictions politiques, qui relèvent aussi d'une certaine forme de fanatisme qui a à voir avec le religieux. Nous sommes dans ce film comme les premiers chrétiens quand, avec Théodose, le christianisme devient religion d'État et que toutes les autres se mettent à être réprimées. Aldo Moro dit aux brigadistes : " Vous êtes intolérants comme les premiers chrétiens. "

Je songeais aussi à une continuité dans le domaine de la psychanalyse, qui traverse tant de vos films, avec cette mort d'un père symbolique, tué par celui dont le rôle est tenu par votre fils.

Marco Bellocchio. La psychanalyse n'a pas découvert la mort du père. Pour les Brigades rouges, Aldo Moro est certainement une figure de père, mais l'infidélité historique est là. Les brigadistes ont voulu tuer le père. Ils sont dans un discours de séparation. Le fantasme du père est là, telle l'image d'Oreste poursuivi par le fantasme de la mère. En refusant de tuer Moro, ils se libèrent de cette image. Dans ce film, la figure du père est spécifique. C'est comme si, dans les autres films, il n'était jamais présent.

Cela fait quarante ans que vous faites des films. Quels sont vos préférés?

Marco Bellocchio. Cela fait trente-neuf ans. Je retiendrais le premier, les Poings dans les poches, parce qu'il a cette unicité de la première fois, quand on découvre une manière nouvelle de travailler et qu'il faut diriger des acteurs. Ensuite le "Saut dans le vide", qui a été une expérience très positive. C'est presque la dernière fois que j'ai travaillé avec deux comédiens français, Michel Piccoli et Anouk Aimée, pour jouer deux Italiens. Un film aussi, qui est venu dans une période de grande crise mais qui est assez important pour moi a été le "Diable au corps". Il y a eu une grande relation avec l'ami psychiatre à qui j'ai dédié le film et cela a été une expérience unique. Enfin, je voudrais citer mes deux derniers films, le "Sourire de ma mère" et "Buongiorno, notte", où je me suis un peu renouvelé.