mercoledì 4 febbraio 2004

"Buongiorno, notte" esce in Francia:
la recensione del film su "Le Figaro"

Martyr d'une idée
La critique de Dominique Borde


Un couple visite un appartement pour le louer. On ouvre les persiennes et la lumière envahit l'espace. De l'ombre à l'éblouissement, Chiara, membre des Brigades rouges, va ouvrir les yeux sur son idéal, sa mission, ses certitudes. Nous sommes en mars 1978, à Rome, une cache de l'appartement sera la prison d'Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, enlevé et séquestré là pendant cinquante-cinq jours avant d'être froidement exécuté par ses geôliers. Un acte politique désespéré qui marquera le point culminant des «années de plomb» et le début de la fin des utopies révolutionnaires.

C'est ce point de rupture entre la conscience morale et la conscience politique que Marco Bellocchio a voulu stigmatiser en fixant sa caméra sur le visage passionné ou inquiet de Chiara, confrontée à la réalité d'un acte idéologique mué en geste criminel. Loin d'une reconstitution historique, d'un plaidoyer pro- ou anti-Aldo Moro ou d'un docu-fiction moralisateur, il regarde, imagine ce qui a pu se passer pendant deux mois entre un vieil homme désabusé et les terroristes, entre le regard vaincu d'une victime désignée et celui troublé d'une jeune fille. Autour d'eux, il y a la vie, celle du bureau où Chiara évolue, employée anonyme et banale, et celle des images de la télévision, contrepoint de la réalité événementielle. Et constamment un paradoxe se développe entre la sérénité d'Aldo Moro et l'inquiétude des terroristes, d'une attitude résignée et humaine à un discours idéologique radical, fossé infranchissable entre le compromis affectif et l'absolu révolutionnaire. C'est celui-là que Bellocchio tente d'approfondir ou de délimiter pour comprendre sans s'apitoyer, revenir sur les faits sans prendre parti. Ou comment un idéal révolutionnaire peut engendrer un totalitarisme inhumain? Comment un être humain peut douter et refuser de devenir le bras armé de son idéologie? Comment un bouc émissaire peut devenir un martyr et les justiciers des assassins? Toutes ces questions sont en filigrane dans la ligne pure de ce film dépouillé, dans le visage tourmenté de Maya Sansa ou celui digne et douloureux de Roberto Herlitzka. Buogiorno Notte rappelle que ce sacrifice involontaire était d'abord une parabole révolutionnaire, une démonstration par l'absurde pour ces conquérants de l'inutile que furent les Brigades rouges.

Le Figaro 4.2.04
TRAIT POUR TRAIT Maya Sansa, nouvelle égérie du cinéma italien, est à l'affiche de «Buongiorno, notte» de Marco Bellocchio
Maya Sansa
A fleur de peau


A 28 ans, Maya Sansa est la nouvelle égérie du cinéma d'auteur italien. Elle est romaine mais n'a pas l'âme à mener une vie oisive et festive, à se couler dans la dolce vita. Elle ne se rêve pas en robe haute couture à la une des magazines people ou à l'affiche d'une super-production hollywoodienne. De ses aînées, elle n'a pas la beauté volcanique, mais elle possède un mystérieux charme oriental qui irradie chacun de ses films.

Révélée récemment dans l'émouvante fresque romanesque Nos Meilleures Années (toujours sur les écrans parisiens), Maya Sansa est à l'affiche aujourd'hui du film de Marco Bellocchio, Buongiorno, notte.

Elle promène un regard sévère sur l'existence et le cinéma. A sa façon d'évoquer d'une voix grave ses rôles, de ne pas les réduire à un «je me suis mise en danger», formule pratique et vide de sens que les acteurs répètent à l'envi, émane une exigence âpre, une discipline de fer... jusqu'à l'excès parfois. Quand elle tourne, le monde s'arrête de tourner. Manger, dormir, travailler : sa vie se réduit comme peau de chagrin. Elle est prisonnière de ses rôles, elle ne sort plus. Et d'ailleurs, à quoi bon ? «Je ne pense plus qu'au film, j'en parle tout le temps, je suis terriblement ennuyeuse pour les autres», avoue-t-elle.

Trop sérieuse, trop raisonnable, pas assez exubérante pour une Italienne, pense-t-on. De sa mère, italienne, elle a hérité une gestuelle bavarde, de son père, iranien, une sensibilité à fleur de peau. L'été dernier, elle s'est rendue pour la première fois en Iran. Et, dans ce pays inconnu et rêvé, où vit son grand-père paternel, elle a retrouvé une part d'elle. «J'ai compris pourquoi j'étais comme ça, pourquoi je ne me sentais pas complètement italienne, pourquoi je n'ai jamais compris l'humour italien... Les femmes iraniennes ont une force et une sensibilité qui sont plus proches de moi. Même en observant les enfants jouer dans la rue, je me suis souvenue de certains détails, quand j'étais plus jeune.»

L'Italie, elle l'a d'ailleurs d'abord rejetée. Elle ne se sentait pas à sa place à Rome. A 18 ans, comme d'autres quittent leur province, elle est partie en Angleterre prendre des cours d'art dramatique. Elle ne maîtrisait pas la langue de Shakespeare, cela ressemblait à un caprice de midinette, ou au coup de tête d'une adolescente rebelle et un peu paumée. Ce n'était rien de tout cela. Ni même une lubie de jeune fille idéaliste. Et, pourtant elle l'était. Elle avait de qui tenir. Elle avait passé son enfance dans les jupes d'une mère un peu bohème, qui l'entraînait l'été sur les routes pour vendre des vêtements peints.

Mais cet univers de fêtes où l'on refaisait le monde au milieu de gens de tous horizons lui avait laissé un goût d'inachevé. «Nous étions toujours dans des situations difficiles car nous avions peu d'argent, et ma mère n'était jamais sûre de ce qu'elle voulait.» Elle, à 18 ans, avait des idées bien arrêtées plein la tête. Comme celles de croire que l'enseignement dramatique italien péchait par excès de rigueur, que l'obsession tout académique des professeurs pour la diction n'était que fantaisie, que l'important n'était pas d'apprendre à déclamer des vers pour épater le public. Elle a trouvé en Angleterre ce qu'elle cherchait, elle y est restée six ans.

Pour incarner Chiara, terroriste des Brigades rouges qui participe à l'enlèvement d'Aldo Moro dans Buongiorno, notte, elle s'est d'ailleurs souvenue de la jeune fille qu'elle était à vingt ans. Une «extrémiste n'acceptant aucune compromission», plaçant l'art au-dessus de tout. Dans son français encore hésitant, elle allonge les phrases car les mots justes lui échappent. «Je dois parler beaucoup pour dire de petites choses», s'excuse-t-elle. Peu importe. Quand elle se lance dans un monologue sur le théâtre ou le cinéma, le temps ne compte plus pour elle.

Elle sacralise son métier, parle de ses choix avec une conviction inébranlable. Elle refuse de se laisser enfermer dans un personnage, comme le voudraient les agents. «Au théâtre, tu peux jouer des caractères très différents en travaillant sur le physique, sur la tenue vestimentaire. Au cinéma, incarner des extrêmes est beaucoup plus difficile car tu ne peux pas couvrir complètement ton âme.»

Après avoir incarné une nourrice (son premier rôle en 1998, dans un film de Marco Bellocchio), il aurait été naturel qu'elle se glisse dans la peau d'une bonne soeur, mais elle a joué le rôle d'une prostituée dénuée d'instinct maternelle, puis d'une femme policière engagée à gauche. Parfois, à l'entendre, on a l'étrange impression que sa vie se réduit à cette succession de rôles. Elle dit : «A la fin de chaque tournage, je me sens triste.» Comme s'il était plus important de tourner que de vivre, comme si la vie avait plus de poids sur la pellicule.

Sans faire de bruit, elle vient de poser ses valises à Paris, quelque part du côté de la place de Clichy. Sans plan de carrière, même si elle espère un jour tourner en France. Par amour, simplement.